Chaque visage est le Sinaï d'où procède la voix qui interdit le meurtre - Lévinas

Aprés de Denis Gheerbrant

Le cinéaste est parti seul avec sa caméra, comme à son habitude, dans un pays qu'il ne connaissait pas, le Rwanda. Près de dix ans après le Génocide, un voyage à travers le récit des rescapés, l'inconcevable, et la vie retrouvée de leur culture traditionnelle.
Déo, qui apprend la danse aux orphelins dont il s'occupe, devient compagnon interprète du cinéaste, il l'emmène dans sa colline natale pour remonter l'histoire d'un peuple d'éleveurs et d'agriculteurs, Tutsis et Hutus.
Vers des prisonniers génocidaires et une noce presque inquiétante, un voyage comme un fil qui se tend, parce que voyager au Rwanda c'est accepter de se faire prendre dans les rets d'une exigence, une seule, celle de comprendre.

SORTIE LE 26 JANVIER
à PARIS à l'Espace Saint-Michel
M°saint-Michel. Toutes les séances, voir programme.
Et dans les régions.
LE 26 JANVIER débat à l'issue de la séance de 20h
(prévoir d'arriver un peu à l'avance)



Mes dates clés

Par Denis GHEERBRANT

Liberation mercredi 26 janvier 2005 



30 avril 1964. Mon frère aîné de deux ans, Pascal, meurt en 24 heures d'une allergie à un médicament. La vie ne sera plus la même.

Septembre 1965. Pensionnaire à La Providence, collège de jésuites à Amiens. Seul au milieu des rejetons d'une bourgeoisie hyperréactionnaire, je m'abîme dans la lecture de Capitale de la douleur d'Eluard. Premiers reportages photo dans les bas quartiers de la ville. Je saute presque tous les jours le mur pour aller à la discothèque de la nouvelle maison de la culture et commence à cocher les films que je vois dans le Dictionnaire des films de Georges Sadoul.

Juin 1972. Je sors de l'Idhec avec un vaste film inachevé mêlant une copine qui peint son corps, le discours d'un publiciste et les images de la chaîne à Sochaux. Exclu de Cinéluttes pour «anarchisme petit-bourgeois». Je m'éloigne de mon milieu. Je découvre la secte des professionnels de la profession en apprenant le métier d'assistant opérateur. Je me défonce dans mon travail de chef opérateur sur les courts métrages de copains, et je commence à trouver un endroit bien à moi quand j'achète un Leica pour plonger, trois mois durant, deux heures par jour, dans le métro.

4 octobre 1977. Le Festival d'automne me propose de travailler la photographie pendant six mois dans le XVe arrondissement. Durant trois semaines, je dors une heure par nuit pour tirer les 250 photos qui vont peupler le Palais de Tokyo. Tout en essayant de faire quelque chose des ourlets récalcitrants de mon pantalon, je cherche mention de mon exposition qui ouvre le soir même dans les pages culture du Monde. L'article est en première page, signé par un jeune inconnu, Hervé Guibert. Le soir, je retrouve les amis disparus depuis longtemps. Peu après, j'en prendrai pour dix ans de psychanalyse.

Mai 1981. Cannes, Histoire d'Adrien remporte la caméra d'or. Par l'intermédiaire de René Allio, avec qui je tournerai l'Heure exquise, j'ai rencontré Jean-Pierre Denis, parfaitement débutant et porteur d'un beau film paysan. Chef opérateur, j'en ai conçu les images avec lui. La promotion publicitaire par la Gaumont coûtera trois fois plus cher que le tournage ! Dans le même temps, j'achève le montage difficile d'un premier long, Printemps de square. Le bruit circule qu'un jeune a filmé ses copains et que c'est épatant. Pour tout résultat : une projection au cours de Jean Rouch qui déclenche l'enthousiasme et le refus du Festival du réel, suivi de quinze ans de brouille. Plus tard, à l'occasion d'un énième refus, la déléguée du festival a ce mot merveilleux : «Un jour, on fera une rétrospective Denis Gheerbrant.» (!)

5 novembre 1984. Amour rue de Lappe, premier film diffusé à la télé, bien accueilli. Thierry Garrel à l'INA m'avait proposé de tourner seul. C'est comme cela que je tourne tous mes films depuis.

Juillet 1989. Je pars pour un an de tournage à travers un vaste territoire, de Marseille à Charleroi. Mon fils apprenait à parler, j'apprenais à filmer le vaste monde à travers des rencontres avec des gens éblouissants. Ce fut ma Leçon de vie. Un film que l'on ne peut résumer, un projet invraisemblable.

22 février 1995. Sortie en salle de La vie est immense et pleine de dangers. Près d'un an et demi passés avec les enfants cancéreux de l'Institut Curie, dont neuf mois de tournage, présence quotidienne dans cette petite communauté d'enfants et d'adultes. Par-dessus tout, l'amitié avec un enfant : une initiation réciproque.

Avril 2002. Kigali. Richard Copans, mon producteur, m'a dit «vas-y». Je suis ballotté d'émotions en émotions. Un client du petit hôtel un peu triste où je dîne me présente Déo. On va boire une bière, il se raconte, je me raconte : j'hésite toujours à mettre des mots sur une relation a priori déséquilibrée, et pourtant le sentiment troublant d'une appartenance à une même famille.

2004. Manière de faire, forme de pensée, l'expression est de Jean-Louis Comolli, sort en librairie.

Janvier 2005. Mon film est projeté tous les jours au festival de Ouidah au Bénin. Dans cette capitale du vaudou et de l'esclavagisme, sur la place du marché et sous le baobab, debout pendant 1 h 40, des Africains se découvrent des frères. J'aimerais réunir assez d'argent pour retourner à Kigali, montrer le film, et remettre à flot l'association de Déo.






La vérité et la justice c'est (aussi) affaire de (la) psychanalyse. Signé : le claviste.

24/01/2005
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