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Elle s'appelait Sabine de Sandrine Bonnaire
Voici un dossier paru dans Libération, le 29 janvier 2008à l'occasion de la sortie en salle du film «Elle s’appelle Sabine» réalisé par Sandrine Bonnaire.
Sans être lié directement à la psychanalyse, le film donne à voir combien certaines approches de la souffrance humaine peuvent être désolantes et catastrophiques. Il nous rappelle à la responsabilité de penser l'autre en tant que sujet qui s'inscrit dans un devenir. Il laisse aussi entrevoir la nécessité impérative de veiller à ce que les progrès initiés par la psychanalyse se soient pas dilapidés. Que l'espoir qu'elle alimenté ne reste pas vain. Ni les promesses, auxquelles elle a participé, lettre morte.
J'ai eu l'occasion de voir le film il y a quelques temps, il est vraiment rare et magnifique. On ne peut qu'encourager à aller le voir.
Sans être lié directement à la psychanalyse, le film donne à voir combien certaines approches de la souffrance humaine peuvent être désolantes et catastrophiques. Il nous rappelle à la responsabilité de penser l'autre en tant que sujet qui s'inscrit dans un devenir. Il laisse aussi entrevoir la nécessité impérative de veiller à ce que les progrès initiés par la psychanalyse se soient pas dilapidés. Que l'espoir qu'elle alimenté ne reste pas vain. Ni les promesses, auxquelles elle a participé, lettre morte.
J'ai eu l'occasion de voir le film il y a quelques temps, il est vraiment rare et magnifique. On ne peut qu'encourager à aller le voir.
Ce dossier rend bien compte de la dignité de la démarche.
Merci à Libération
Merci à Sandrine Bonnaire
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Dossier de 4 articles
Société
Éditorial
Exemplaire
Laurent Joffrin
QUOTIDIEN : mardi 29 janvier 2008
Elle est la plus douce des passionarias.
Sandrine Bonnaire, comédienne de la justesse et de l’émotion, est aussi une citoyenne de la justice. Sans esbroufe, sans grandiloquence, elle mène une croisade modeste et éclatante, comme dans ses films. Pour revenir sur les stations du calvaire de sa sœur autiste, broyée par une institution psychiatrique qu’on a laissé en déshérence, elle a accepté pour Libération de se faire journaliste l’espace d’une enquête à la fois personnelle et exemplaire. C’est un honneur pour nous de l’avoir comptée, pour plusieurs jours, dans notre rédaction.
Que dit-elle, sans esprit de système ni de démonstration ? Que notre pays, voué par une nécessité mondiale à l’efficacité, ne sait plus quoi faire de ses marges. Une société, disait Tocqueville, se juge à l’état de ses prisons. Elle se juge aussi à la situation de ses hôpitaux psychiatriques. Et ce jugement est sévère. Sabine, femme différente, enfermée en elle-même par un mal énigmatique, a passé quatre années à se faire soigner. Elle en est sortie à moitié détruite. Et sa sœur, Sandrine, ne comprend pas pourquoi.
La compétence et le dévouement des médecins ne sont pas en cause. C’est l’indifférence générale de l’esprit contemporain qui a aggravé la maladie de sa sœur, broyée par une machine que l’impéritie collective a livrée à elle-même. Quarante ans après Mai 1968, l’héritage de Michel Foucault s’est perdu. Avec ses armes pacifiques, sa souffrance, sa caméra et sa conviction, Sandrine Bonnaire a commencé de réveiller les consciences.
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Un film émouvant.
Au cœur de Sabine
Entre orages et poésie, le documentaire de Sandrine Bonnaire bouleverse.
PHILIPPE AZOURY
QUOTIDIEN : mardi 29 janvier 2008
«Elle s’appelle Sabine» de Sandrine Bonnaire, avec Sabine Bonnaire ; durée : 1 h 25.
Cris et chuchotements. Sabine bave, Sabine dort, Sabine cogne, Sabine pose 100 fois la même question, Sabine était une gamine d’une beauté sidérante : une enfant sauvage. Mais quatre ans dans un hôpital psychiatrique, suivant une médication si lourde que l’on hésiterait à l’administrer à un éléphant si on voulait l’abattre, ne l’ont pas soigné (elle n’était même pas diagnostiquée), laissant au contraire la pathologie prendre le dessus. Sabine a un an de moins que Sandrine. Elles se ressemblaient comme deux sœurs. Enfant, nous dit Sandrine, elle était différente. Au collège, on a voulu lui faire rejoindre les autres élèves. Elle y a rencontré l’incompréhension : elle s’y mordait les poings, se griffait le visage, se déshabillait au milieu de la cour.
Sang-froid. Déscolarisée vers 12 ans, elle apprend le piano à domicile, se révèle douée, joue Bach avec mélancolie. Elle a alors quelque chose dans le visage des autoportraits de la Finlandaise Hélène Schjerfbeck. Sandrine, elle, croise la route de Pialat et du cinéma. Les frères et les sœurs s’en vont vivre leur vie d’adultes, Sabine reste, s’enfonce. Quand le film commence, Sandrine vient enfin d’intégrer un centre en Charente auprès d’une médecin et d’un personnel d’aides soignants exemplaires. Exemplaires de patience, d’amour, de sang-froid aussi, quand la défiance, la colère, la douleur s’empare des malades. Là, en Charente, Sabine a enfin été diagnostiquée : autiste. Dans l’œil de Sandrine, c’est la maladie le sujet, pas la sœur. Sandrine filme pour Sabine. Mais aussi pour Olivier, qui porte un casque sur la tête, pour que l’épilepsie ne le casse pas une fois de trop. Olivier, à l’expression incroyable de profondeur, quand une musique le transperce totalement.
Si ce film est tout bonnement admirable, c’est pour sa capacité à passer tout à la fois de la réalité la plus concrète au décrochage le plus poétique. On pense à ce plan extraordinaire, qui fait d’abord songer à une émanation des adolescentes de Virgin suicides : Sabine allongée dans l’herbe, le rouge de son pull rouge tranchant avec le vert chlorophylle. Les autres malades du centre s’activent, jardinent. Sabine, non. Qui refuse. La caméra à coté d’elle tente de comprendre quelque chose du calme étrange de ce corps pris depuis longtemps dans un étau inexplicable. «-Sabine, tu regardes le ciel ? - Non. - Tu regardes quoi, alors ? - Le ciel.» Tout le film est comme ça. Il se cogne à un corps qui, la seconde d’après, lui donne tout. Si une image pouvait le résumer, ce serait sans doute celle de cette malle fermée à clef dans laquelle Sabine entasse ses souvenirs, ses poupées, les photos des voyages qui ont survécu à la période où elle saccageait tout de ce qu’elle aimait d’elle. En échange, on peut voir les vidéos de Sandrine, celles du voyage à New York en Concorde en 1991, Sabine marchant les cheveux au vent dans les rues américaines, parlant des glaces locales les meilleures du monde, même si une seconde plus tard elle peut prendre très mal une pique lancée pour rire par sa sœur aînée.
Ecume. On est toujours au bord de la secousse, du nuage noir, de l’orage. «Bonjour monsieur, allez vous faire enculer, vous êtres très gentil», dit-elle au guichet de la piscine municipale. Dans le bassin, jouant à prononcer des mots dans l’eau, la bouche pour chambres d’échos, Sabine est plus que contente : émue. Il y a de quoi : le sens des phrases vient de couler à pic sous la musique de l’écume. Toute présentation bue, on peut aussi vous dire qu’une cinéaste est née, qui s’appelle Sandrine.
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Société
Une sœur dans un asile de douleur
Sandrine Bonnaire sur le tournage de «Elle s'appelle Sabine». (AFP)
A l’occasion de la sortie de son documentaire, «Elle s’appelle Sabine», l’actrice Sandrine Bonnaire est retournée pour «Libération» sur les lieux où a été internée sa sœur, dressant un constat alarmant de la psychiatrie publique.
ÉRIC FAVEREAU
QUOTIDIEN : mardi 29 janvier 2008
Sandrine Bonnaire n’est pas en colère. Ou alors, elle le cache par délicatesse. De retour d’une visite aux deux hôpitaux psychiatriques où sa sœur, Sabine, a été internée pendant près de quatre ans, Sandrine semble se parler à elle-même : «Sabine a été endormie, enfermée, droguée, et tout cela a servi à quoi ? Pendant ces années-là, on ne comprenait pas. On nous disait que c’était nécessaire, qu’il fallait l’interner. Et nous, avec mes sœurs, on voyait Sabine décliner, décliner»…
Aujourd’hui, ce n’est pas un combat, plutôt une évidence à imposer.«A l’époque, on n’y arrivait plus avec Sabine. Il y avait eu la mort de mon frère. On se disait que l’hôpital allait pouvoir mieux faire que nous. Je n’ai rien contre les hôpitaux. Mais quand on voit comment Sabine en est ressortie…» Un désastre en effet. Le 29 décembre 2000, Sabine, sœur cadette de Sandrine, quitte l’hôpital psychiatrique des Murets pour s’installer dans un foyer de vie près d’Angoulême. Mais qu’est devenue Sabine ? Cette jeune femme sort défaite. Elle est défigurée, alourdie de quarante kilos. Les cheveux si courts. Alors qu’en février 1997, comme le montre le magnifique documentaire Elle s’appelle Sabine (lire page 4), celle-ci, qui a alors 28 ans, est belle comme tout, aussi jolie que sa sœur célèbre, troublante, fatigante, fragile à l’évidence, violente parfois avec les claques qu’elle donne, comme ça, sans rien dire. Mais bien vivante, espiègle, inattendue, moqueuse, triste aussi. Elle joue du piano, elle pleure, elle sourit, elle se mure. Et voilà donc qu’en sortant quatre ans plus tard de l’institution psychiatrique, ce n’est plus la même femme. Comment expliquer cet effondrement ? Y a-t-il une raison ? Est-ce la faute de l’avancée inexorable de la maladie ou celle de l’institution ? Comment éviter le constat que décrit avec force le documentaire de Sandrine Bonnaire ? Sabine était malade, elle en ressort détruite : le monde à l’envers.
«Qu’est-ce qui fait que ce qui tient ne tient plus»
Sandrine Bonnaire a été tout de suite d’accord, lorsque Libération lui a proposé de retourner dans les lieux où sa sœur avait été hospitalisée. «On ira avec mes sœurs», nous a-t-elle dit. «Mais je ne veux pas que ce soit un réquisitoire contre la psychiatrie».
Sandrine et ses trois sœurs sont très proches de Sabine. Elles sont allées la voir, toutes les semaines. D’abord à l’hôpital Paul-Guiraud à Villejuif, puis à celui des Murets à la Queue-en-Brie. Juste avant son hospitalisation, Sabine ne va pas bien. Quelques mois auparavant, un de ses frères est mort. Elle vit avec sa mère. «Quand nous sommes allées leur rendre visite, nous étions inquiètes, raconte Corinne, la sœur aînée. Sabine frappait ma mère. Je l’ai reprise avec moi, à la maison, mais on n’y arrivait pas. Et c’est comme ça qu’on a été conduits à l’amener à Villejuif.
L’hôpital Paul-Guiraud est un monde à part, un de ces grands établissements, construits à la fin du XIXe siècle, pour «interner» les malades de Paris et de sa région. Chaque service correspond à un secteur géographique de compétence. Sabine relève alors du secteur 15, dirigée par le Dr Françoise Josselin, partie depuis à la retraite. Et c’est son successeur le Dr Jean Ferrandi qui nous reçoit, avec la Dr Francesca Biagi-Cha. Il a repris le dossier : «Votre sœur est arrivée à un moment aigu de sa vie, elle était violente, elle s’automutilait. Qu’est ce qui fait qu’à un moment les choses qui tenaient ne tiennent plus ?», s’interroge-t-il.
Les sœurs écoutent. Elles ont d’autres souvenirs, plus violents : Sabine attachée, Sabine qui se frappe la tête contre les murs. Elle restera jusqu’en avril 1998 à Villejuif. Six hospitalisations successives.
«Peut-être est-elle restée ici trop longtemps»
Sandrine : «On a le sentiment que sa violence n’était pas aussi forte que cela. Et que l’enfermement a exacerbé sa violence.» Le dialogue est franc, sans agressivité aucune. La Dr Biagi-Chai : «Je vous donne un exemple. Sabine, un jour, met une claque à un infirmier. Ce n’est pas plus grave que cela, on est habitués. Mais elle donne une claque sans raison, et cela nous inquiète beaucoup, car l’acte est immotivé.
- Mais pourquoi est-elle restée attachée si longtemps ?
- C’est parfois nécessaire, pour la contenir.
- Et les médicaments ? A priori, nous n’étions pas contre non plus. Mais pourquoi des doses aussi fortes ? C’était un cas si difficile que ça ?
- Quotidiennement, nous avons des patients comme votre sœur, c’est un peu notre travail habituel.
- Quand on allait voir Sabine, elle nous disait : "J’habite chez toi, hein ?" Et les médecins nous disaient de lui dire qu’elle habitait à l’hôpital. Pourquoi ? […] Et comment expliquer qu’aujourd’hui, alors qu’elle n’est plus enfermée, qu’elle vit avec d’autres malades dans une maison et qu’elle prend moins de médicaments, les choses vont mieux ?
- Peut-être est-elle restée ici trop longtemps? Tout notre problème est de trouver des lieux de vie relais. On n’en avait pas alors.»
Dans le cahier de transmissions, il y a une note datée du 2 novembre 1997 : «Sabine pleure, elle va mal, rentre dans les différentes chambres. Finalement, se calme».
Dehors, en ressortant du bâtiment, on longe un bâtiment, refait tout neuf, celui de l’UMD, c’est-à-dire l’Unité pour malades difficiles. Il y a cinq lieux en France comme celui-là. Y sont hospitalisés les malades dits «perturbateurs», mais aussi des patients considérés comme très dangereux. Sabine perturbe : elle donne, parfois, des coups. Jamais plus qu’une paire de claques. Elle sera pourtant enfermée cinq mois à l’UMD. «Une prison», lâche Sandrine, en revoyant le bâtiment : «C’est étrange, on nous dessine le portrait d’une Sabine, violente, dangereuse. On dirait qu’on a peu installé Sabine dans un autre rôle, plus violent, plus grave.»
Direction, l’hôpital des Murets à la Queue-en-Brie. «De fait, explique Sandrine, après son hospitalisation à Villejuif, j’ai loué un appartement pour ma sœur en bas de chez moi, avec des gardes-malades toute la journée. Mais ça n’allait pas trop. Les gardes malades n’y arrivaient pas». Et c’est ainsi que Sabine atterrit aux Murets.
Dans la voiture nous y conduisant, Sandrine, Jocelyne et Lydie sont désarçonnées, mais elles ne l’avouent qu’à moitié. Elles ne sont jamais revenues aux Murets. En retrouvant l’itinéraire, on devine paradoxalement de la chaleur qui remonte, des souvenirs qui reviennent. Et elles en rient. Lydie, en colère : «Une fois, pour l’anniversaire de Sabine. J’arrive avec un gâteau. Et on m’interdit d’entrer. On me dit : "Pas de visite de la famille". Sabine était juste devant moi. J’ai fait mine simplement d’aller vers elle. Physiquement, deux infirmiers m’ont alors conduit à la porte.»
«Elle donnait des claques, elle injuriait, elle crachait»
Les Roseraies, où a été «internée» Sabine, sont en rénovation. Un bâtiment fermé, engrillagé, planté en bas du parc. Le chef de service et la psychiatre qui ont suivi Sabine veulent bien recevoir ses sœurs «mais seules, sans journaliste». «On prendra des notes», répond, avec un grand sourire, Sandrine Bonnaire.
Deux heures plus tard, elles ressortent. Le Dr Daniel Brehier, chef de service, s’est montré ouvert. Il a pris son temps. «Vraiment, voyez, je ne vois pas ce qu’on aurait pu faire de mieux. Sabine avait besoin d’être hospitalisée, voire enfermée. C’était thérapeutique», leur a-t-il dit, et même répété. «Quand votre sœur est arrivée, ce qui m’a frappé, c’était quand même sa violence, autant une violence à son égard que par rapport aux autres.» Mais quelle violence ? «Elle donnait des claques, elle injuriait et elle crachait au visage. On ne peut pas tolérer ça, surtout quand il y a, à côté, des personnes qui sont, eux aussi, très mal.» Pui s insistant : «Votre sœur était malade. C’est une maladie extrêmement grave… Une psychose infantile avec des troubles du comportement, c’est très difficile, on est extrêmement démuni.»
En tout cas, aux Murets, un traitement sans concession est très vite choisi. Manifestement destiné davantage à la tranquillité du service qu’au bien-être de Sabine. Le Dr Brehier s’explique : «Le problème avec Sabine, c’est que les neuroleptiques ne marchaient pas très bien sur elle.» D’où l’idée d’une «fenêtre thérapeutique» : l’équipe médicale arrête tous les médicaments afin que l’organisme se reconstruise. «Mais il y avait un risque en terme de comportement.» Et c’est ainsi que «pour permettre cette fenêtre thérapeutique», Sabine se retrouve pendant cinq mois à l’UMD de Villejuif. Un lieu carcéral, enfermée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec aucune possibilité de sortie.
Sandrine demande simplement au psychiatre si, à son retour aux Murets, ils ont pu «travailler» avec elle. Réponse : «Quand elle était plus calme, on la mettait avec les autres, mais avec la limite de nos moyens. L’hôpital psychiatrique, c’est le lieu de toutes les grosses misères. Il n’y a que deux à trois infirmiers en permanence pour 25 malades. On fait aussi ce qu’on peut avec ce qu’on a.
- Vous reconnaissez que vos traitements sont parfois liés aux manques de moyens ?»
- Les médicaments, c’est quand même un progrès. Vous n’imaginez pas ce que c’était avant, quand, dans un service, un malade hurlait toute la journée, jusqu’à n’avoir plus de voix…
- Sabine était quelqu’un qui exprimait ses angoisses. Elle était dans l’échange, dans le contact. D’ailleurs, elle jouait du Schubert, elle dessinait. Aux Murets, elle a perdu toute mémoire, elle ne savait même plus s’habiller. Comment vous l’expliquez ?
- Ce que j’essaye de vous dire, c’est qu’elle a eu beaucoup de décompensations. Si elle est entrée à l’hôpital, c’est pour ça. Croyez-moi, ce n’est pas l’hôpital qui l’a rendu malade…»
La Dr B., qui la suivait au quotidien aux Murets, dira la même chose. Pour autant, cette médecin ne se souvient pas de la «fenêtre thérapeutique», ni des longues périodes où Sabine est restée enfermée dans sa chambre. Elle évoque l’intérêt des chambres d’isolement, et même de contentions «plus modernes, avec des aimants qui lient directement mains et chevilles au lit».
A l’automne 2000, c’est la sortie des Murets. Un autre combat : alors que les sœurs ont remué terre et ciel pour trouver un autre lieu, la Dr L. ne veut pas laisser partir Sabine. «Elle nous disait qu’elle devait rester hospitalisée, qu’elle ne pouvait pas aller en Charente, car le lieu n’était pas assez médicalisé», raconte Sandrine Bonnaire. Finalement le 29 décembre, Sabine a pu intégrer ce lieu de vie près d’Angoulême. En quittant les Murets, Sandrine Bonnaire veut revoir l’ancien bâtiment. «C’est sa c hambre», dit-elle en montrant une fenêtre.
«Pas de colère, de la tristesse»
Quelques jours plus tard, de retour à Villejuif : «Je viens de discuter avec le Dr B, à qui j’ai envoyé un DVD du film. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas l’impression d’avoir mal travaillé. Et que, si cela avait été le cas, ils se seraient trompés en groupe».
Sandrine Bonnaire a-t-elle appris quelque chose à l’occasion de ce retour ? Certains arguments l’ont-ils troublée ou convaincue ? «Ce n’est pas de la colère que je ressens, c’est de la tristesse. Les réponses que l’on nous a données, non, elles ne nous ont rien appris. Et c’est cela qui est terrible».
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Société
La psychiatrie publique oubliée
Lancé en 2005, le plan «santé mentale» est en panne.
ÉRIC FAVEREAU
QUOTIDIEN : mardi 29 janvier 2008
La psychiatrie publique va mal. Ou plutôt ne va pas. Depuis près de vingt ans, elle tangue dans une indifférence des pouvoirs publics. On ferme des lits à tour de bras, passant de près 80 000 lits en 1989 à 40 000. Le nombre de patients suivis en psychiatrie a pourtant été multiplié dans la même période par deux. Signe d’une évidente tension, le nombre d’hospitalisations contre la volonté du patient ne fait qu’augmenter depuis vingt ans. Atteignant aujourd’hui plus d’un patient sur trois.
Il y a bien eu un plan «santé mentale», lancé en 2005, par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé. Concocté à la hâte, juste après le double meurtre à l’hôpital psychiatrique de Pau, il est aujourd’hui englué dans une panne complète. A peine une mesure sur dix est entrée en application. Et pour la plupart, les mesures tournent autour des questions de sécurité, d’installation de chambres d’isolement, de vidéo surveillance. Certes, il s’agit là de questions importantes mais elles restent marginales dans la prise en charge des grands malades mentaux.
En décembre, le Comité national d’éthique a rendu un rapport sur les insuffisances de la prise en charge des autismes en France. Son président, le professeur Didier Sicard, est sorti de sa réserve, pour évoquer «la honte française» et assurer que «nous sommes à la limite de la maltraitance». Selon le Comité d’éthique, «le manque de structures [pour les autistes en France, ndlr] a conduit à l’exil ou à la délocalisation à vie en Belgique d’environ 3 500 enfants ou adultes souffrant de syndromes autistiques ou de handicaps mentaux». Et ce constat : «En France, on isole les plus vulnérables, alors qu’en Suède le choix a été fait de les insérer au cœur de la cité, via de petites structures et des accompagnants.»
Pour autant, il serait inexact de dire qu’il ne se passe rien. Des secteurs de psychiatrie se démènent, souvent seuls. La clinique de La Borde, près de Blois, emblématique d’une autre psychiatrie, résiste toujours. Des structures associatives se sont mises en place, développant des lieux de vie, comme celle de Charente où vit désormais Sabine. Des associations de malades mentaux font un travail remarquable.
Il n’empêche, sur ce paquebot devenu ivre, l’industrie pharmaceutique reste seule à bénéficier de moyens. Elle impose sa loi, parfois avec raison : bien des molécules ont réussi à adoucir la vie des malades. Mais est-ce si bon signe qu’en France, jamais la consommation de médicaments, comme les antipsychotiques, n’a été aussi prégnante ?
Le plus grave, peut-être, est que l’état de la psychiatrie publique que pointe, dans sa singularité, l’histoire de Sabine, ne fait qu’empirer. F élix Guattari, célèbre philosophe-psychanalyste lon gtemps directeur de la clinique de la Borde, disait à Libération, il y a seize ans : «Avec les patients, qui vivent dans des douleurs insupportables, d’abord, je crois qu’il faut être… attentionné.» Aujourd’hui, les malades ne reçoivent pas «cette attention» minimum. La psychiatrie, non plus.
[www.liberation.fr]
Franck Chaumon, psychanalyste, et Patrick Coupechoux, journaliste, s'entretiennent à l'occasion de la sortie en salle du documentaire que Sandrine Bonnaire a consacré à sa soeur Sabine.
Entretien paru dans l'Humanité du 9 Février 2008 , et réalisé par MIchel Delaporte et Maud Dugrand
30/01/2008
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