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La psychanalyse dans la presse écrite en 2004 suite
Archives... etc suite, c'est-à-dire de nombreux articles et autres propos sur, autour ou à partir de la réglementation de la psychothérapie, mais dès maintenant, avril 2004, d'autres aussi, sans lien direct avec cette règlementation mais en relation de près ... de loin ... étant donnée l'actualité - et l'influence qu'exerce cette actualité - en relation donc, avec la psychanalyse.
Sans aucun dessein d'exaustivité.
Ils ont retenu notre attention au hasard du fil de nos lectures.
Faire-part ou invitation au partage... n'hésitez pas à nous communiquer vos étonnements, vos interrogations, vos surprises et autres réactions...
Ou bien à nous signaler quelques propros rendus publics qui vous sembleraient... disons... dignes d'attention!
Il n'est pas impossible qu'un article se retrouve en double...
Sautez-le, passez au suivant, ou ... prenez le temps de le relire....
A quoi bon nous en tenir rigueur... ?
L'ordre de présentation correspond à celui de nos lectures.... c'est pourquoi il peut sembler parfois ne respecter aucune chronologie ...
L'ensemble de ces articles peut permettre, nous semble-t-il, à tout un chacun de se faire une idée de la spécificité de la psychanalyse, de la richesse de son apport. De ses limites aussi. Ou de ses risques? Et pourquoi pas, des dissensions et autres travers qui animent certains psychanalystes.
Autrement dit, cette lecture peut être envisagée comme un reflet de ce que la psychanalyse est susceptible d'apporter... à chacun ... sans pouvoir le garantir.
Et puis... ces articles, à titre d'information préventive, peuvent être abordés comme autant d'éléments d'une protection au moins aussi valable que celle proposée par l'auteur d'un texte de loi qui nous semble, mais pourquoi pas, opportuniste... et non garant véritable de quoi que ce soit...
A chacun de le dire, de le vivre, de le lire, de l'écrire, de le ressentir.
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La totale, par Alain Abelhauser
LE MONDE | 07.02.04
La recherche, en France, est sinistrée. L'université ? N'en parlons pas, c'est "la grande misère" (Le Monde du 24 janvier). Quant à la psychanalyse, inutile de revenir sur les menaces qui pèsent toujours sur elle avec les amendements Accoyer-Mattei, sans parler de ceux qui vont suivre.
La psychologie serait-elle mieux lotie ? C'est à voir, si l'on met en regard de ses prétentions à la crédibilité la déferlante du "tout psy" qui envahit médias et vie sociale - ce discours pseudo-scientifique qui nous explique en permanence pourquoi et comment nous pensons, désirons et vivons, et qui tente aussi de suturer chaque déchirure sociale jugée "traumatique" en garantissant à ses victimes son assistance et sa caution.
Tout cela pour dire que lorsqu'on est à la fois enseignant à l'université, chercheur, psychanalyste et directeur d'un laboratoire de psychopathologie, on n'a guère actuellement de raisons de se sentir très à l'aise. La totale, en somme (ou presque : j'aurais pu être de surcroît, me susurrent les mauvaises langues, intermittent du spectacle !) Et que, en plus de tout, on est face à un véritable embarras : comment expliquer simplement au public les raisons et effets d'une si fatale addition ? Comment donc chanter ce blues-là de façon qui convienne ?
Je fais un choix : rappeler quelques idées fortes, sur lesquelles nombre de mes collègues ont cherché à construire une carrière, voire une vie entière. Par exemple l'idée que l'enseignement universitaire n'a de sens qu'à s'appuyer sur la recherche - celle des autres, bien sûr, mais aussi la sienne propre, et que c'est seulement à se consacrer à la transmission de cette expérience personnelle que l'on a quelque chance d'inscrire de nouvelles générations d'étudiants dans une formation digne de ce nom.
Par exemple, aussi, l'idée que la médecine n'a de sens qu'à maintenir une référence réelle à la clinique, c'est-à-dire à l'attention portée à la singularité de chaque cas, ce qui signifie que l'on ne se préoccupe pas seulement de guérir des maladies, mais de soigner des malades - des sujets que l'on commence par écouter pour prendre en compte la spécificité de leur plainte et de leur souffrance.
Par exemple, enfin, l'idée que la psychanalyse, au-delà de son application thérapeutique, n'a de sens qu'à se référer à une éthique, celle qui se fonde précisément sur la reconnaissance de ce qu'a de singulier chaque sujet, en tant qu'il y est proprement "contraint" par sa parole et son désir et que c'est cette dimension qui confère à la psychanalyse sa place et sa va- leur dans le champ social.
Nous sommes un certain nombre à avoir eu la chance - façon modeste de parler, car en fait nous avons beaucoup travaillé pour cela - d'être parvenus à cette situation presque idéale où nos différentes tâches s'emboîtent et se complètent de façon en principe harmonieuse. Notre enseignement se nourrit de nos recherches et leur fournit en retour un lieu précieux d'élaboration et de mise à l'épreuve. Notre expérience clinique est le terrain de nos recherches et le support de nos enseignements, et elle s'affine grâce aux unes et aux autres.
Et la psychanalyse n'est, dans tout cela, pas seulement un champ de pratique, mais aussi un cadre de référence à l'enseignement, à la recherche et à la clinique, absolument irremplaçable. C'est peut-être, nous disions-nous, beaucoup d'efforts que de faire sans cesse le va-et-vient entre ces trois dimensions, mais d'une part la psychanalyse "le vaut bien", pensions-nous, et d'autre part ce n'est précisément qu'en articulant ces trois domaines que l'on peut avoir quelque prétention à y être pertinent, croyions-nous.
Or que se passe-t-il, à présent, et en réalité ? Enseignants du "supérieur", notre temps de véritable enseignement est progressivement grignoté par celui que nous consacrons à "l'organisation pédagogique".
Chercheurs, notre temps véritablement utilisé à la recherche se réduit en peau de chagrin et notre temps d'écriture se replie complètement sur ces refuges traditionnels que sont les week-ends ou les vacances, parce que notre ordinaire s'organise, là encore, autour de l'organisation : il faut gérer la recherche, la promouvoir, s'investir dans sa politique, répondre aux appels d'offres, trouver des contrats, occuper le terrain, etc.
Bref, nous passons notre temps à tenter de trouver les moyens de faire ce que nous avons à faire, pour constater régulièrement ensuite que nous n'avons plus le temps de faire ce dont nous nous sommes enfin donné les moyens. En psychanalyse, en psychopathologie, cela a un nom : la logique obsessionnelle, et cela suscite le plus grand respect de la part du thérapeute qui sait combien ça peut se révéler redoutable.
Et maintenant, justement, parlons-en, il est question de mettre en cartes, en fiches, en coupe, la psychanalyse et, plus généralement encore, le champ de tous ceux qui, comme certains le disent, "se coltinent la souffrance psychique". Il est question d'y introduire l'ordre qui y manque si manifestement, et qui n'est pas si éloigné de celui dont, enseignants universitaires et chercheurs, nous constatons si quotidiennement les effets et bienfaits.
Et pour quoi ? Pour protéger les usagers des errances de certains charlatans ? Mais il n'est pas d'universitaire un peu responsable qui ne soit forcé d'admettre qu'un diplôme ne garantit en rien de ces risques. Ou alors, pour réserver la prise en charge de la souffrance psychique à la seule médecine, assistée de quelques auxiliaires zélés ? Quand on sait à quelle "pratique de l'écoute" un médecin est maintenant formé, à quelles cadences il est soumis, et à quels systèmes de références il puise désormais l'essentiel de ses repères ?
Allons, soyons sérieux : sachons choisir le "moins pire" - c'est un professionnel de la question qui vous le dit. Et qui demande - supplie ? - qu'on ne saccage pas d'un même mouvement tout ce à quoi il est attaché, tout ce pour quoi il est fait et dans quoi il a un rôle à jouer. Nous sommes déjà malades de l'université, malades de la recherche ? Ne nous rendez pas en plus malades de la psychanalyse. Ce n'est pas sa fonction, même si elle est censée apporter la peste. Car elle ne le fait pas pour la plus mauvaise des causes, le tissu social a déjà eu largement de quoi s'en apercevoir.
Un dernier mot, éminemment personnel, en guise d'épilogue un peu dérisoire à ces propos, en forme de pirouette destinée à les inscrire complètement dans l'actualité. Je m'appelle Abelhauser. On me croit donc souvent juif. Sauf ceux, et ils sont nombreux, qui me pensent arabe, et écrivent mon nom Abdelhauser. J'ai été élevé, en fait, dans la religion catholique, en Alsace, où l'enseignement religieux est obligatoire, mais je me considère comme athée, quoique je fasse un cours de maîtrise sur la question de la croyance.
Les choses sont simples, on le voit, et je m'y retrouve. Jusqu'à maintenant, en tout cas : j'ai en effet la faiblesse de porter la barbe. Cela ne va-t-il pas être considéré comme un signe manifeste d'appartenance religieuse ? Je vais de ce pas m'en inquiéter auprès du président de mon université.
Comment donc chanter ce blues-là de façon qui convienne ?
Alain abelhauser est professeur de psychopathologie, directeur du Laboratoire de psychopathologie et clinique psychanalytique de l'université Rennes-II.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.02.04
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La Psychanalyse
Nouveaux enjeux, nouvelles pratiques
Tous les dix ans, elle est déclarée morte. Le reste du temps, la psychanalyse française est taraudée par mille disputes qui l’épuisent au point qu’en théorie, elle n’a presque plus d’existence, nous dit-on. Au demeurant, elle s’est tant répandue en pratique dans le tissu social, elle imprègne tellement les écoles, les lieux de catastrophe et la télé-réalité, qu’il n’est plus nécessaire d’en parler. On la connaît ! D’ailleurs, la chimie du cerveau remplace le temps de la parole par l’absorption de comprimés, rendant la psychanalyse tout à fait inutile. Pourtant, il a suffi des remous autour de l’amendement Accoyer pour que, d’un coup d’un seul, elle se réveille, portée par la voix de ses hérauts rebelles. Lorsque le ministère de la Santé veut encadrer les « psy », ils sont colère. Pas de psychanalyse sans liberté. Or à y regarder de plus près, que découvre-t-on sur le terrain français ? Une nouvelle génération gardienne des meilleures traditions, des thérapeutes à la pensée libérée, engagés dans la cité au plus haut niveau, politiques, musiciens, écrivains, ethnologues, éthologues, dessinateurs de B. D., professeurs de lettres.
On a beaucoup connu de ces intellectuels qui s’adonnaient à la « psychanalyse appliquée » : l’exercice consiste à traiter d’une peinture ou d’un texte avec les outils freudiens. Les psychanalystes eux-mêmes participaient à ce loisir élégant, qu’on ne publie plus guère. Il en va autrement avec ces psychanalystes d’un nouveau style qui, sans abandonner leur port d’attache, s’engagent personnellement ailleurs.
Autrefois, les psychanalystes commentaient de l’extérieur ; aujourd’hui, ils pratiquent eux-mêmes, et cela leur change la pensée.
Catherine Clément
"Au psychanalyste on confesse un beau néant. On se laisse aller à lui dire, simplement, tout ce qui vous passe par la tête. Des paroles, précisément. La découverte de la psychanalyse, c'est l'homme comme animal parlant."
Jacques Lacan
"Si on peut leurrer une truite c'est parce qu'on lui fournit ce qu'elle espère : un moucheron, une tache… Dans un monde de truite, elle perçoit préférentiellement ce qui est l'analogue d'un super moucheron. On peut la leurrer parce qu'on lui sert ce qu'elle espère. C'est pareil pour les hommes. Personne ne se trompe mieux que soi-même."
Boris Cyrulnik
L'Intégrale du Dossier "La Psychanalyse - Nouveaux enjeux, nouvelles pratiques" dans le magazine littéraire n° 428 - Février 2004
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Libération (le quotidien)
Essais
Vous m'entendez?
Et si la voix était l'inconscient de la parole? Un essai de Jacques Nassif, philosophe et psychanalyste.
Par Robert MAGGIORI
jeudi 01 avril 2004
Lacan a voulu «faire entendre la voix silencieuse de Freud».
Jacques Nassif
L'Ecrit, la voix Aubier, 350 pp., 22 €
Que la voix ne soit pas seulement la chose des oto-rhino-laryngologistes, des orthophonistes et des phoniatres, on le conçoit sans difficulté, bien qu'on la leur confie dare-dare dès qu'elle se casse, déraille et s'éteint. Qu'elle puisse dire, suggérer, évoquer, invoquer bien mieux que le geste ou l'écrit, on l'admet encore plus aisément, parce que, jouant de toutes les combinatoires du ton, du timbre, de la tessiture, du rythme ou du registre, elle se rend capable de restituer les plus infimes nuances de ce qui est pensé, fait, ressenti ou imaginé. D'une certaine façon, elle dit même plus que la parole, vis-à-vis de laquelle elle est une sorte d'«inconscient», au sens où, dans ce que nous croyons dire, elle glisse subrepticement ce que nous ne savons pas que nous disons : la parole peut expliquer, exprimer, exhorter, informer, ordonner, supplier, et, pendant qu'elle s'applique à le faire avec force points d'exclamation ou de suspension, la voix la fait tourner en bourrique, la ridiculise, l'exalte, lui ôte ou lui donne des sens inopinés, la rend menteuse ou plus sincère qu'elle ne voudrait être, par un débit trop rapide ou trop lent, un trémolo, une inflexion, une accentuation ratée, un enrouement bien ou mal venu. La parole appelle l'écoute, mais la voix oblige à tendre l'oreille. C'est pourquoi elle devrait être le premier objet, ou le premier souci, de tous les «praticiens de l'écoute». On s'étonne que ce ne soit pas toujours le cas, notamment en psychanalyse, dont Freud, appliqué à déchiffrer le texte manifeste et latent du rêve, fait une affaire scripturale, et où «l'inconscient est une chose qui s'écrit».
C'est de cet étonnement, ou de la volonté de faire revenir ce qui par là s'est trouvé refoulé, que naît le livre de Jacques Nassif, l'Ecrit, la voix. Fonctions et champ de la voix en psychanalyse. Philosophe, élève et ami d'Althusser, auteur d'une thèse (1) rédigée sous la direction de Paul Ricoeur, Jacques Nassif, comme analyste, est aujourd'hui inscrit aux Cartels constituants de l'analyse freudienne, une association «décidée (...) à faire le départ entre la transmission servile de l'enseignement [de Lacan] et la découverte, toujours à refaire, de ses trouvailles», qui est membre de l'Inter-Associatif européen de psychanalyse (I-AEP) et du mouvement international Convergencia. Mais il fut, un temps, très proche de Jacques Lacan. Et c'est peut-être cette proximité qui l'a «destiné» à s'intéresser à la voix, puisqu'en 1970 c'est à lui (après Jean-Bertrand Pontalis et Moustapha Safouan) que fut confiée la tâche de recueillir la parole de Lacan et de la «coucher par écrit» : Nassif prit en charge la transcription du séminaire D'un Autre à l'autre, puis le rapport avec le Maître se gâta, et le relais passa à Jacques-Alain Miller. La question de la transcription de la voix, celle qu'on entend dans des séminaires célèbres ou dans le cabinet de n'importe quel psychanalyste, se pose indépendamment de cette anecdote et reste entière. Aussi, Nassif reconsidère-t-il d'un point de vue théorique toute l'opération effectuée par Lacan, lequel a effectivement tenté «entreprise désespérée» de «renverser complètement la vapeur» en confiant à la voix le soin de «transmettre ce qui devait être obligatoirement le message de Freud, à redécouvrir et dépoussiérer certes, voire à nettoyer de la boue de certaines gloses».
L'analyse qu'il propose est trop complexe et sophistiquée pour qu'on se hasarde à la résumer : elle autorise Jacques Nassif à juger que la tentative de Lacan de «faire entendre la voix silencieuse de Freud là où la lecture, si excellente et explicite que fût sa plume (...) n'a pas évité de verser dans le plus plat des académismes» a échoué, comme a échoué celle de faire entendre sa propre voix dans la transcription des séminaires. A propos de ce dernier échec, ou de ce qui serait, selon Nassif, le «refoulement» par Lacan de «sa propre découverte» quant à la voix comme «pulsion invocante», plusieurs questions se posent. A-t-il été provoqué par la volonté d'accaparement de quelques héritiers «sectaires», soucieux d'établir une orthodoxie sous la loi d'un Ecrit aux allures de mythe ou d'Arlésienne («la publication officielle des séminaires se retarde et se diffère, on se demande en fonction de quels impératifs !») et de rendre muette toute parole qui tirerait une pertinence de ce qu'elle aurait entendu et enregistré de la «voix» de Lacan ? A-t-il été causé par le Maître lui-même, qui se «serait arrangé pour que personne, pas même lui, ne puisse s'adjuger un label ou se considérer comme autorisé à parler au nom de sa théorie ou de son enseignement d'une façon légitime», et, pour cela, n'aurait pas empêché (aurait «fortement souhaité» même) que sa parole essaime à tous vents et que sa voix, cassée, déformée, vole libre de «sténotypies bourrées d'erreurs» en photocopies, de carnets de notes en bandes magnétiques ?
Qu'on entende bien : l'Ecrit, la voix n'est pas un livre sur Lacan, encore moins sur le lacanisme. Si, d'un point de vue politique ou «dynamique», il prône un «retour à Freud après Lacan», il interroge, s'obligeant à des développements parfois escarpés (qui eussent pu l'être moins si quelques maniérismes rhétoriques avaient été évités, comme l'adresse tutoyée au lecteur, puis à l'auteur dédoublé en lecteur virtuel, etc.), le «sujet» même de la psychanalyse, le fondement de la relation analytique. Le «sujet», trop souvent, c'est le «cas», la «personne qui consulte» : la psychanalyse, volens nolens, le présente ainsi dans presque toute sa littérature, lorsqu'elle se borne à faire des «récits de cure», dans lesquels le «patient» devient «Anne G.» ou «Louis A.». Elle montre ainsi sa «contamination avec la clinique médicale ou psychiatrique», et s'ôte elle-même toute spécificité. Le sujet, c'est le sujet philosophique, le «Moi» ou le «Je», une sorte de «point d'Archimède» où se font «la synthèse des impressions et l'appréciation fiable du monde» : c'est ce sujet-là que la psychanalyse a scindé, rendu opaque, dépossédé de sa supposée «maîtrise». Il l'a remplacé, avec Lacan, par «le nègre blanc du "sujet de l'inconscient"», un inconscient «structuré comme un langage», où se déroule la chaîne qui va d'un signifiant à l'autre.
Ce qu'étudie Nassif, ce sont les raisons qui ont fait que de tout cela soit systématiquement exclue la voix, ainsi que les conséquences d'une introduction de la «situation de la voix» sur l'ensemble de la théorie et de la pratique analytique. Difficile, là encore, d'entrer dans le détail. Mais cela peut se comprendre : quels que soient, sur le divan, les aveux, les rappels de souvenirs, les hurlements, les chuchotements, les lapsus, les récits de rêves, les révélations de l'analysant, quelles que soient l'écoute ou la parole de l'analyste, comment prendre en compte ce qu'ajoutent ou soustraient au sens la voix, l'intonation, les silences, le débit haché, les sons qui s'étranglent dans la gorge ? La littérature parvient parfois à les faire entendre, les voix. La psychanalyse n'a pas craint de s'appliquer aux oeuvres littéraires : elle devrait, dit Nassif, plutôt être impliquée par elles.
Descartes notait qu'il était difficile de situer la voix du veilleur de nuit qui arpentait à son époque les rues en frappant le sol de son bâton. On pouvait imaginer qu'il se rapprochait ou s'éloignait, mais jamais deviner la direction qu'il prenait. Dans la relation analytique, il en va de même : on entend une curieuse question, et l'on doit tendre l'oreille pour savoir d'où elle vient, où elle va et à qui elle s'adresse : «Il y a quelqu'un ?»
(1) «Freud l'inconscient» (Galilée, 1977).
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le Quotidien des médecins du 05 mars 2004 N°7492 du 05-Mar-2004
sur le quotidien du medecin, que je trouve interressant :
L'amendement Accoyer et le traitement moral
Dr ROBERT VULTAGGIO-LUCAS
L'amendement du Dr Bernard Accoyer, vice-président de l'UMP, semble avoir, en première lecture, le mérite de vouloir préciser, comme cela se fait pour nombre de professions ou métiers, qui est apte à prodiguer des soins psychothérapiques à des personnes souffrant d'un trouble psychique ou d'un mal-être afin de les préserver des techniques insuffisamment éprouvées, des charlatans de tout poil et des sectes diverses.
Toutefois, les charlatans sont probablement moins nombreux que les publicitaires et autres animateurs polymorphes qui induisent chez le commun des mortels le besoin de consommer des produits aussi inutiles que débilitants.
De plus, l'information aussi transparente soit-elle et obligatoire à transmettre pour les uns, mais qui n'est certes pas une formation, ni même un transfert de compétence, n'est-elle pas nécessaire, voire suffisante, pour permettre au malade de se faire une idée plus précise sur la qualité des soins qui peuvent lui être prodigués lorsqu'il y a encore l'accès ?
La pénurie programmée de médecins-psychiatres d'ici trois à quatre ans, la demande croissante de l'avis « psy » secondaire à l'individualisme exacerbé et la destruction de l'idéal de solidarité nous font craindre que cet amendement ne soit qu'une pièce de plus au puzzle conduisant au marché fondé sur le libéralisme économique.
En effet, nous voulons pour exemple ce qui se fait déjà à la Mgen, mutuelle des étudiants, qui rembourse les honoraires de psychothérapeutes non médecins à ses mutualisés s'ils ont une prescription médicale.
Si nos craintes étaient confirmées, cela signifierait une fois de plus qu'une vertu affichée n'est qu'une stratégie.
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Soyons dignes de Freud
24-03-2004
La psychanalyse en péril ?
Pierre Marie, dans Le Figaro du Lundi 22 Mars 2004.
Le 3 mars, la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté l'amendement Mattei qui l'avait déjà été au Sénat le 19 janvier. En soi, cet article 12 quater peut sembler banal : les psychanalystes régulièrement enregistrés sur les annuaires de leurs associations auraient de droit l'usage du titre de psychothérapeute. Comme le statut de psychanalyste n'est pas reconnu, les psychanalystes en mal de reconnaissance pourront se faire valoir comme psychothérapeutes.
Donc, si la procédure se poursuit sans difficulté, la psychanalyse s'exercera en France officiellement sous le nom et l'appellation de psychothérapie. La belle affaire, allez-vous dire. Quelle importance, cette bataille de mots ! Le problème, vital, c'est que les mots, en l'occurrence, expriment des concepts, radicalement différents.
Des psychothérapies, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Depuis la nuit des temps, les religions ont eu à coeur de soulager la souffrance psychique des hommes et ont, à cette fin, inventé des techniques visant, sous l'effet de la suggestion, à modifier le comportement de ceux qui étaient porteurs de symptômes. Chamanisme, exorcisme, direction de conscience, ascèse corporelle, étaient les méthodes employées qui sont passées à l'identique dans les psychothérapies profanes : on ne dit plus chamanisme ou exorcisme, mais on dit hypnose, on ne dit plus direction de conscience mais on dit thérapie cognitivo-comportementale ; on ne dit plus ascèse corporelle, mais on dit bioénergie, sophrologie, rebirth, quand le yoga hindouiste ou le qi gong taoïste fonctionne depuis 3000 ans.
La psychanalyse, c'est une toute autre histoire. D'abord, elle est récente. Elle date de Freud, c'est à dire de la fin du XIXe siècle. Par ailleurs, elle ne vise en aucun cas la suppression des symptômes par la modification des comportements, mais l'opportunité pour chacun d'assumer sa singularité. D'emblée, la psychanalyse a cherché à se distinguer des psychothérapies. Or, si l'amendement Mattei est adopté, la psychanalyse risque de disparaître pour être remplacée par une pratique ayant les mêmes ambitions que les psychothérapies.
Comment a-t-on pu en arriver là ? Le pire, c'est que cela fut entrepris, non à la demande du gouvernement, mais à la demande de représentants de certaines associations de psychanalystes se précipitant, en décembre 2003 dans le bureau du ministre de la Santé pour implorer sa protection.
Or, ce jour-là, le ministre, fort surpris de cette demande, a rappelé qu'il n'y avait en projet qu'un dessein de réglementation des psychothérapies dont l'initiative ne venait même pas de lui, mais des associations de psychothérapeutes en mal de reconnaissance, et qu'il allait de soi pour lui que la psychanalyse «devait absolument» sortir du champ de cette réglementation.
Le paradoxe de la situation est que le pouvoir politique spontanément, du moins en France, reconnaît que la Psychanalyse se situe hors du champ des psychothérapies quand des représentants de certaines associations de psychanalystes font comme si une certaine connexion fonctionnait entre psychothérapies et psychanalyse. En un mot, un siècle après la découverte de Freud, tout le monde sent bien que psychothérapies et psychanalyse ce n'est pas pareil. Mais, quand devant l'agitation de l'un des leurs, le fameux Jacques-Alain Miller, grand spécialiste de l'agit-prop et qui souhaite, lui, une organisation totalitaire de la profession qu'il imagine dotée d'un Conseil national qu'il se verrait bien présider (!), certains psychanalystes, pris de panique, ont convaincu le ministre d'une certaine proximité entre psychothérapies et psychanalyse.
Devant cette collusion dont la psychanalyse ne peut que faire les frais à terme, 500 des 3 000 psychanalystes installés en France, membres ou non de toutes les associations de psychanalystes, ont, il y a 15 jours, élaboré et signé une pétition et appellent tous les psychanalystes à se ressaisir et à la signer (1). N'ayons pas peur! Nulle panique n'est justifiée! ,La psychanalyse peut continuer à s'exercer sans qu'il y ait lieu de la travestir en psychothérapie. Soyons dignes de Freud.
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Psychanalyse Entretien. " Il n'y a pas d'individualité pure " René Major
En 2000, le psychanalyste et président de la SIHPP René Major convoquait des états généraux de la psychanalyse. Le rapport au politique était au coeur des débats.
Il y a trois ans se tenaient à Paris, et à votre initiative, les premiers états généraux de la psychanalyse. Une formule qui vient d'être reprise à Rio, au Brésil. Quel est le sens d'états généraux pour une discipline comme la psychanalyse ? René Major. Les premiers états généraux répondaient à une double préoccupation : trouver un mode d'organisation sociale pour la psychanalyse - un lien social entre psychanalystes qui soit cohérent avec notre pratique - et prendre en considération, à frais nouveaux, ce qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, a été un peu la dernière roue du carrosse de la réflexion psychanalytique : son rapport au politique et au social. Si nous avons invité avec quelques autres psychanalystes, de toutes obédiences, à discuter de l'état général de la psychanalyse et de ses enjeux à l'orée du XXIe siècle, le nom même d'états généraux est un clin d'oeil historique. Il signifiait à la fois que la psychanalyse, de manière interne, était en crise et que nous avions là une discipline qui, de toute façon, mettait en crise toujours les individus qui l'exerçaient, dans leur rapport aux problèmes sociaux et politiques de leur temps. On n 'est jamais tranquille avec la psychanalyse. Cela vaut aussi bien pour les psychanalystes que pour la société elle-même, qui a affaire à elle au moins par le biais des citoyens qui en font leur métier et ceux qui passent sur leur divan.
Quelle était donc cette crise ? René Major. L'histoire en est longue. Je vais donc l'évoquer brièvement. Le scandale a éclaté suite à la publication du livre d'Helena Besserman Vianna (L'Harmattan, 1997) sur la psychanalyse face à la dictature et à la torture. On a découvert qu'un psychanalyste brésilien en formation avait pratiqué la torture. S'il s'agit là d'un cas exceptionnel dans l'histoire, il a été compris comme un symptôme relevant du retour du refoulé. Le refoulé, ici, étant bien entendu le politique. Autrement dit, le politique faisait retour sous les pires espèces dans un champ psychanalytique qu'il avait oublié. Nous avons donc décidé qu'il était temps, en ce début de siècle, de réinscrire le politique dans la démarche réflexive de la psychanalyse. Et dans la même perspective, mais plus largement, d'ouvrir notre discipline aux penseurs du social, du philosophique, de l'histoire, des sciences. En quelque sorte, il s'est agi pour nous de prendre au mot Jacques Lacan, qui déclarait : "L'inconscient, c'est le social ", mais la démarche est freudienne au fond.
Freud ne refusait pas, en effet, d'analyser son époque avec les outils de la psychanalyse. René Major. Je pense même que Freud est un penseur du politique incontournable. On voit bien aujourd'hui la pertinence de ses études sur le malaise dans la culture, le rôle de la religion et la psychologie des masses ; l'actualité des propos échangés avec Einstein sur les motifs inavoués des hommes qui font la guerre. Par la suite, les psychanalystes n'ont pas poursuivi dans cette voie. Reste cet héritage théorique, qui doit être maintenant retrouvé et qui se fonde sur la révélation de l'inconscient : il n'y a pas d'individualité pure, de singularité parfaite, parce qu'il y a toujours d'abord un rapport au social. Ce qui se vérifie aisément dans la pratique de la psychanalyse. Chacun de nous transporte en lui tout un monde - transmis, reçu, inculqué, à partir duquel essaie d'émerger un sujet singulier. Il n'y a pas de rapport immédiat à la parole, à la vérité, à soi sans passer par l'autre (et par l'Autre). En conséquence de quoi, tous nos rapports sont politiques. C'est en ce sens que nous pouvons dire de la psychanalyse qu'elle est une véritable psycho-socio-politologie.
Avec trois années de recul, comment jugez-vous les effets des premiers états généraux ? René Major. Ils correspondent à ce que j'en espérais, à savoir à la fois un décloisonnement dans le champ psychanalytique et une ouverture de ce champ au questionnement venu d'autres disciplines. Pour ce qui est du décloisonnement, le fait que les Brésiliens aient décidé de poursuivre l'aventure par de nouveaux états généraux fait preuve. En effet, nous ne savions pas, en 2000, s'il y aurait une suite ou pas. Nous avions laissé au désir et à l'initiative de ceux qui le souhaiteraient d'en prendre le relais. Les états généraux de Rio, tout dernièrement, ont opté pour un programme qui continue ce qui avait été amorcé et l'élargit encore à d'autres interrogations : comme celle de la psychanalyse aux médias. En ce qui regarde l'ouverture du champ psychanalytique aux questions du dehors, beaucoup de livres en témoignent. Ceux que Fethi Benslama a consacrés à l'islam, d'Élisabeth Roudinesco et Jacques Derrida sur les problèmes de nos sociétés, de Claude Lévesque sur le genre, les nombreux articles de Michel Plon aussi et, enfin, si vous le permettez, mon dernier ouvrage : la Démocratie en cruauté (Éditions Galilée, Paris 2003 - NDLR). Cette activité éditoriale témoigne de ce que notre encouragement à l'ouverture a bien été entendu. En outre, les Brésiliens ont invité d'autres penseurs que ceux avec qui nous avions lancé le projet, tels cette année Toni Negri et Tarek Ali.
Que pensez-vous du projet de loi réglementant les pratiques psychothérapeutiques, en débat au Sénat actuellement, et qui coïncide avec le renouveau de l'intérêt des psychanalystes pour le politique ? René Major. L'amendement Acoyer, voté sans débat à l'Assemblée, est la dernière tentative en date des pouvoirs publics pour arraisonner une pensée et une pratique qui les dérangent. Nous avions déjà pris position sur cette question aux états généraux de l'an 2000. Nous réaffirmions la spécificité de la psychanalyse par rapport à certaines dérives qui n'hésitent pas à lui emprunter son nom. Et disions la nécessité qu'elle conserve son indépendance par rapport à tout projet dit de " réglementation " ou de mainmise sur la zone franche qu'elle constitue au sein de la société. Un état démocratique digne de ce nom doit pouvoir le tolérer. Ce sont les dictatures et les régimes totalitaires qui n'ont pas supporté la psychanalyse depuis qu'elle existe. La psychanalyse est critique par rapport au pouvoir, à tout usage abusif du pouvoir. Elle doit garder cette liberté de critique en démocratie. Quant à la pratique, qui demande aux psychanalystes une formation des plus exigeantes et une culture des plus vastes, ce ne sont pas les départements d'université qui peuvent l'authentifier. Mais seuls ceux et celles qui ont recours à sa méthode rigoureuse. Cette méthode oeuvre à l'émergence d'une certaine liberté intérieure du sujet qui fait que les symptômes qu'il présente disparaissent lorsque celui-ci est libéré de ce qui le contraignait à les adopter, dans son rapport à lui-même comme dans son rapport aux autres. Cette libération ne se réglemente pas. D'autant moins que le cabinet du psychanalyste est en passe de devenir le dernier lieu d'hospitalité inconditionnelle, d'écoute attentive et de droit au secret. Les pouvoirs publics devraient plutôt penser à le préserver comme tel.
Entretien réalisé par J.-A. N.
(1) Société internationale d'histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse.
Article paru dans l'Humanité du 17 novembre 2003
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« Discuter avec les enfants »
La psychanalyste Caroline Eliacheff nous répond.
« Le nom de famille », « victimes télévisées », « mères toutes-puissantes », « du berceau au divan », « l'école, mode d'emploi »... Depuis deux ans, chaque samedi à 13 h 30 sur France-Culture, Caroline Eliacheff pose un regard de psychanalyste sur l'air du temps. Elle s'appuie sur la découverte d'un livre, une anecdote, un article de presse, une loi ou un débat en cours. Elle nourrit sa chronique de son vécu personnel et professionnel, décortique les rapports familiaux, passe à la loupe l'évolution de notre société, présente le parcours de Françoise Dolto. Elle vient de publier chez Albin Michel la Famille dans tous ses états, un recueil de ses chroniques hebdomadaires. Elle a répondu à nos questions.
Pouvez-vous rappeler la genèse de votre chronique sur France-Culture ?
Caroline Eliacheff Au moment de la sortie de mon précédent livre, Mères-filles, une relation à trois, Laure Adler m'a proposé de tenir une chronique hebdomadaire sur France-Culture. Elle me laissait totalement libre de l'organiser. J'avais toutes sortes de possibilités, même si je ne mesurais pas ce que pouvait représenter de faire une chronique seule. J'ai décidé de saisir cette offre pour moi toute seule ! Je ne voulais pas m'en servir pour faire venir des invités, j'ai préféré en profiter pour faire partager mes coups de coeur et mes coup de sang, en partant d'un livre ou d'un fait divers. La chronique est ouverte et limitée à tout ce qui m'intéresse. Et au temps que j'ai à y consacrer : si j'en avais plus, je serais allée au théâtre plus souvent, j'aurais regardé plus d'émissions de télévision. Je n'ai pas le temps de faire des choses pour la chronique, je me sers de ma vie pour l'enrichir.
Votre précédent livre s'appuyait sur des exemples de la fiction pour étudier les relations mère-fille. Vos chroniques sortent elles aussi du champ strict de la psychanalyse...
Caroline Eliacheff Le champ strict de la psychanalyse, c'est le cabinet. En dehors de ça, je ne suis pas psychanalyste. Je me sers des instruments de la psychanalyse et de mon expérience. Il y a plusieurs manières de dire les choses. Et surtout, il y a un vrai problème aujourd'hui pour raconter des cas. On n'est plus au temps de Freud et de ses contemporains, qui changeaient les initiales, disaient ce qu'ils voulaient bien dire. Mais leurs écrits avaient des conséquences monstrueuses sur la vie des analysés dont on n'entendait pas parler. Chacun a une responsabilité par rapport à la confidentialité, et essaie de la résoudre à sa façon. En dehors de ça, les cas sont encore plus forts dans la fiction, qui a aussi l'avantage d'être connue du public. La chronique, elle, se sert de faits culturels au sens très large. Tout me sert, un article que j'ai lu, un fait divers, un livre ou film qui m'ont marquée, une consultation. Je m'occupe beaucoup d'enfants, donc c'est un sujet que j'aborde de façon récurrente. Et l'énorme avantage de ce travail, c'est que je ne suis jamais dans l'urgence. Je peux très bien enregistrer une chronique alors que j'y réfléchis depuis trois mois. Parfois j'attends qu'un événement me permette d'en parler, même si je suis plus dans « l'air du temps » que dans l'actualité. Je peux très bien parler dans deux mois d'une loi qui passerait aujourd'hui...
Accepteriez-vous la même chronique à la télévision ?
Caroline Eliacheff Non. Ce n'est pas du tout la même chose d'être écouté et d'être regardé. Déjà les effets secondaires en terme de vie personnelle sont assez pénibles : il suffit d'être un soir à la télévision pour en faire l'expérience. Et la radio, on peut l'écouter en faisant autre chose, mais on l'écoute. Un enfant de cinq ans, pour qu'il vous écoute, il doit bouger. Si vous le mettez en face de vous, il sera tellement obnubilé par l'idée de regarder qu'il n'écoutera pas. La radio c'est donc absolument idéal. Alors que la télévision est allumée comme un meuble, et je ne pense pas qu'on puisse faire quelque chose et regarder la télé. Le fait d'écouter n'est pas totalement absorbant. C'est plus facile de continuer à penser en écoutant que de continuer à penser en regardant. Et puis quand on regarde on écoute aussi, donc on est assez saturé au niveau des sensations qu'on enregistre.
Dans une de vos chroniques, vous condamnez la télé « baby-sitter »...
Caroline Eliacheff On dit souvent que l'enfant qui regarde la télévision est passif. Même s'il ne peut pas avoir d'activité motrice, recevoir des images ce n'est jamais passif. D'une part, il les enregistre, d'autre part, il fait des rapprochements, du sens. En fonction de ce qu'il est et de ce qu'il a vécu, telle image aura une résonance ou pas. On ne peut évidemment pas savoir laquelle : ce n'est pas parce qu'une image donne l'apparence de la violence qu'elle aura un impact violent. Une image tout à fait anodine peut avoir un impact très violent sur l'enfant au sens où elle lui rappellera une expérience qu'il aurait refoulée. Quoi que regarde un enfant, il faudrait qu'il sache que l'adulte sait que certaines images « font de l'effet » et qu'éventuellement il peut en parler. Mais il y a aussi des images qui font comprendre des choses extraordinaires : il n'y a pas que du négatif. Le problème c'est que les parents engagent autour de la télévision un rapport de force : « éteins », « fais autre chose ». C'est assez rare qu'un enfant puisse regarder sereinement ce qu'il a envie de regarder. C'est encore plus rare que l'adulte s'intéresse à ce que regarde l'enfant, qu'il le regarde éventuellement un petit peu avec lui. Et que la télévision puisse servir à de la relation et pas à de l'absence de relation.
Quelles sont les solutions ?
Caroline Eliacheff Tous les parents, quels qu'ils soient, se posent la question de savoir ce qu'ils doivent faire avec la télévision. Pratiquement tous pensent qu'il faut en limiter l'accès. Mais sur les moyens de le faire, les réponses sont très variées. Il n'y a pas une émission de télé qui traite de ce sujet. Comment font les gens pour traiter de ce problème qu'ils se posent tous ? Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises solutions. Il faut d'abord se poser la question de ce qu'on veut. Que l'enfant ne regarde pas la télévision parce que ça l'empêche de faire autre chose. Qu'il ne la regarde pas parce que les émissions sont nulles. Certains parents reconnaissent qu'ils sont bien contents d'avoir la télé... Tout dépend de ce qu'on veut, et de l'enfant qu'on a en face de soi. Il faudrait placer la télé au coeur de la relation. Regarder les émissions ensemble, apprendre à lire le programme, à lire les images. D'autant qu'il n'y a pas d'émission là-dessus, que le sujet n'est pas abordé à l'école, et que, dans la plupart des cas, les parents ne le savent pas eux-mêmes. Les enfants sont bien plus avertis qu'on ne le pense. Le vrai, le faux, la publicité : il y a beaucoup de sujets sur lesquels discuter avec eux.
Entretien réalisé par Anne Roy
Article paru dans l''Humanité du 22 mars 2004
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Santé et Protection sociale. L'ex-ministre de Balladur devra réformer l'assurance maladie.
Douste-Blazy retrouve la Santé
Par Eric FAVEREAU et François WENZ-DUMAS
jeudi 01 avril 2004
Le profil
Il connaît le lieu. De 1993 à 1995, Philippe Douste-Blazy était ministre délégué à la Santé auprès de Simone Veil, alors ministre toute-puissante des Affaires sociales. Dix ans plus tard, il revient avenue de Ségur par la grande porte, avec un large ministère : Santé, Assurance maladie, mais aussi Handicapés. Médecin comme son prédécesseur, Douste-Blazy n'a guère de points communs avec Jean-François Mattei. Celui-ci était travailleur, austère, solitaire, quand Douste-Blazy, à l'inverse, est un homme de communication qui laisse à ses collaborateurs le soin de mettre le tout en musique. Parfois accusé de se défausser, le maire de Toulouse hérite de l'épineux dossier de l'assurance maladie, qu'il va devoir trancher rapidement, avec à ses côtés un secrétaire d'Etat, Xavier Bertrand (lire ci-dessous). Le même tandem avait été chargé, l'an dernier, de mener campagne pour l'UMP en faveur de la réforme des retraites.
L'état des lieux
A peine arrivé, Douste-Blazy devra filer à l'Assemblée pour défendre, à partir du 7 avril, le projet de la loi sur la santé publique. Un texte qui réorganise tout le champ de la prévention pour fixer des «objectifs précis». Dans ce texte se cache également l'amendement qui entend réglementer les psychothérapies, et qui avait provoqué la colère de tous les psys. Il devra ensuite piloter au plus près l'énorme dossier Hôpital 2007: Mattei avait mis en chantier une nouvelle gouvernance ainsi que les prémices d'une nouvelle tarification, mais Douste va devoir entrer dans le concret. Surtout, à propos du dossier explosif de l'assurance maladie, Douste-Blazy et Bertrand vont devoir choisir très vite entre deux options : passer en force ou temporiser. Ils s'appuieront sur le rapport du Haut Conseil à l'assurance maladie et pourraient présenter au Parlement un texte précisant les grandes orientations. Celui-ci serait décliné par ordonnances et dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2005. Douste pourrait renvoyer la question de la gouvernance aux partenaires sociaux. Avec un ajustement à la hausse du taux de CSG dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, et une augmentation du rendement des cotisations, il peut réduire le déficit de l'assurance maladie (11 milliards d'euros en 2004). L'option «temporisation» éviterait, elle, de donner à la CGT et à FO des arguments pour mobiliser, mais elle braquerait la CFDT qui attend une réforme de fond.
Les attentes
Tous disent à peu près la même chose. «On attend que le gouvernement ne recule pas devant la réforme de l'assurance maladie, et que l'on ne prenne pas prétexte des événements de dimanche pour tout stopper», affirme Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats de médecins français. Même son de cloche chez le docteur François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière : «Un nouveau service public hospitalier doit voir le jour. La pire des choses serait d'arrêter toute réforme, ou alors de prendre des décisions conjoncturelles sur un mode de marchandisation.»
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Le loup Gary
Myriam Anissimov livre un pavé proche de l'enquête policière sur les identités littéraires de Romain Gary et sa propension à brouiller les pistes.
Par Geneviève DELAISI DE PARCEVAL
jeudi 08 avril 2004
«Gari» pour nom d'auteur. En russe, le mode impératif du verbe brûler.
Myriam Anissimov
Romain Gary, le caméléon
Denoël, 745 pp., 31, 50 €.
Dans un entretien filmé, Gary disait ironiquement que, s'il y avait quelque chose de scientifiquement fondé dans la psychanalyse, il aurait dû être (insistait-il) au moins homosexuel, tenu compte de la mère possessive, dominatrice et tyrannique qui avait été la sienne (et dont il a brossé l'étonnant portrait dans la Promesse de l'aube). Son choix d'objet sexuel ne semble pas avoir été de cette nature, encore qu'en psychanalyse homosexualité et donjuanisme ne soient pas forcément antinomiques. A propos de l'amour maternel débordant dont il a été l'objet, Gary a fait ce commentaire pertinent que la psychanalyse ne désavouerait probablement pas : «Il n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt ; ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. (...) Avec l'amour maternel, la vie vous fait une promesse qu'elle ne tient jamais. On est ensuite obligé de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. (...) Vous êtes passé par la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, il n'y a plus de puits, il n'y a que des mirages.» Winnicott, un pseudo de Gary ?
Myriam Anissimov s'est lancée dans une enquête extrêmement détaillée (un peu trop ?) sur un des plus grands écrivains de la seconde moitié du XXe siècle ; une stature de Nobel. Le résultat donne un gros ouvrage composé de cent seize petits chapitres, chacun assorti d'un appareil critique dans lequel les notes renvoient aux oeuvres et aux nombreux entretiens de l'auteure avec des contemporains(es) du héros ainsi qu'à des documents d'archives patiemment recueillis. On sort un peu «sonné» de la lecture de ce pavé. Non qu'il soit ennuyeux, mais parce qu'il donne le «tournis» et qu'il pose, tout compte fait, presque autant de questions que de réponses sur le fait de savoir qui était vraiment Romain Gary.
Anissimov fournit pourtant de nombreuses pistes : elle a exploré in situ les racines juives russo-polonaises de Gary, analysé ses changements de noms et ses différents pseudonymes, pointé de manière presque policière les fausses indications qu'il n'a cessé de donner sur sa biographie et sur l'identité de son père. Elle raconte bien ses rapports aux femmes (ses deux épouses légitimes, l'époustouflante Lesley Blanch et l'émouvante Jean Seberg), ainsi qu'aux autres, inconnues ou très connues (le côté Bottin mondain des chapitres en question est un peu agaçant, mais d'aucuns aimeront). Elle campe ses amis fidèles : le couple Agid, ses éditeurs (Robert Gallimard, Simone Gallimard, Michel Cournot), ses avocats. Ses détracteurs ou supporters, dont nombre d'écrivains et de journalistes (en particulier Jacqueline Piatier et Yvonne Baby du Monde, journal pour lequel Gary nourrissait une ambivalence quasi obsessionnelle). Mais elle s'est moins intéressée à la dernière tranche de vie de Gary, décennie marquée par la machine infernale de l'«affaire Ajar», ce double jeu autour du «je», commencé en comédie et terminé en tragédie par le suicide du démiurge.
Paul Pavlowitch, le prête-nom d'Emile Ajar, fils de la jeune soeur de la mère de Gary, auteur lui-même, avait écrit en 1981, six mois après la mort de son oncle-cousin, un émouvant essai, l'Homme que l'on croyait (immortalisé par un passage à Apostrophes). Il avait sur Gary un diagnostic ciselé : «Romain voulait laisser des traces les écrivains sont comme ça mais pas de pistes claires. Tout fut donc embrouillé à plaisir. Lorsqu'il chercha un nom d'auteur, il choisit "Gari", en russe le mode impératif du verbe brûler. C'était aussi le nom d'actrice de sa mère. Ce feu consuma toute sa vie et celle de ses proches. (...) Gary brûlait. C'est vrai, je l'ai vu. Il faisait feu de tout son être. Ajar veut d'ailleurs dire braise en russe.» On croit ainsi comprendre pourquoi c'est avec une arme à feu que Romain a écrit la dernière page de son roman.
Ce jeu de miroirs du double Gary/Ajar, étonnant scénario faustien au terme duquel la créature échappe à son créateur, le démontre au premier chef : la question de l'identité constitue le fil rouge, la clé de la vie et de l'oeuvre de Gary. Dans les Têtes de Stéphanie (signé Shatan Bogat), il écrivait : «J'éprouvais souvent le besoin de changer d'identité, de me séparer un peu de moi-même, l'espace d'un livre.» Et dans Vie et mort d'Emile Ajar : «J'étais las de n'être que moi-même. (...) Recommencer, revivre, être un autre fut la grande tentation de mon existence.» De son futur suicide, longtemps anticipé, Gary disait d'ailleurs : «Le moi n'est jamais visé mais seulement franchi lorsque je tournerai contre lui mon arme préférée. (...) La réalité est que je n'existe pas.» Bravo, l'artiste...
Dès l'origine, pour Romain, les dés avaient été pipés : sa mère, Mina Kacew, lui avait en effet donné un prénom hautement significatif (romain = roman) qui semble avoir modelé par avance le destin de son fils. On sait que Gary a scrupuleusement honoré le mandat maternel : être un héros français, devenir ambassadeur, séduire toutes les femmes, avoir le prix Nobel il n'a eu que deux Goncourt mais n'écartait pas l'idée du Nobel ; être père enfin (surtout ?). Il se devait en somme d'être protéiforme. De fait, outre une cinquantaine de livres et d'écrits, il a été l'auteur de plusieurs oeuvres, deux en français (l'une sous le nom de Gary, l'autre sous celui d'Ajar), l'autre écrite directement en américain. Sans compter les livres de ses pseudos, Fosco Sinibaldi et Shatan Bogat.
Mais c'est au moment du nouage de l'affaire Gary/Ajar/Pavlowitch que la machine semble s'être définitivement grippée et que les fils («fils») de ses identités se sont emmêlés de manière inextricable. Dans le jeu de miroirs oncle/neveu que Paul Pavlowitch dit avoir vécu dans la douleur, on est saisi par l'empreinte quasi psychotique de l'un sur l'autre ; on assiste, effaré, à leurs relations amour/haine. Mais on ne peut, en même temps, que rester pantois et admiratif devant l'oeuvre de ces deux hommes qui ont tout de même écrit et/ou fait vivre ensemble cinq ouvrages en cinq ans, dont un Goncourt (la Vie devant soi) et un Renaudot (Gros-Câlin) décliné par les auteurs ! La fusion entre eux est telle qu'à la lecture de l'Homme que l'on croyait on en vient à se demander qui, de l'oncle ou du neveu, était «l'homme que l'on croyait». Gary un pseudo de Pavlowitch ?
Gary a brouillé toutes les pistes, y compris celles qu'il avait lui-même avancées. Autant dire que l'énigme Gary est de ce fait «pain bénit» tant pour la psychanalyse que pour la critique littéraire. Bien qu'il n'ait pas fait d'analyse, Gary a consulté de nombreux psychiatres et analystes (Louis Bertagna, le psychiatre de Malraux, et Serge Lebovici notamment), mais il semble les avoir davantage vus comme prescripteurs de médicaments qu'en tant que thérapeutes.
C'est l'ensemble de son oeuvre qui a constitué pour Gary sa psychanalyse, une autoanalyse. C'est ce qu'en terme de critique littéraire on peut qualifier d'«autofiction» (terme créé en 1977 dans Fils par Serge Doubrovsky qui, dans son travail autobiographique, a mené une démarche un peu analogue à celle de Gary). Psychanalyse et autobiographie ont en effet bien des traits communs, toutes deux offrant différentes versions de la vie d'un même sujet, via ce qu'en psychanalyse on nomme le «roman familial». Il s'agit donc, dans les divers romans de Gary, d'une sorte de table tournante où l'auteur a mis en scène tous ses destins potentiels ainsi que ses nombreux fantômes. C'est un «théâtre du je» auquel il nous a donné d'assister. C'est son roman familial qu'il a décliné dans ses romans.
Nombre d'auteurs tous les grands en fait se sont livrés à cet exercice difficile qu'est la «périautographie», sorte d'histoire à la fois personnelle et intellectuelle, reconstruisant ainsi leur vie en même temps que leur oeuvre. Ce, souvent assez tard : Sartre a écrit les Mots à 60 ans, au même âge que le Gary d'Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable. S'agit-il de masochisme, d'exhibitionnisme (ou des deux) dans ces mises en scène ? Michel Leiris, adepte lui aussi de ce genre littéraire, disait qu'il s'agissait d'i