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La psychanalyse n’est pas une psychothérapie
Bien que datant de 2001, le texte ci-dessous, remarquable déjà en soi, l'est aussi pour son exceptionnelle actualité... Découvert au hasard de la navigation, cette raison nous a semblé suffisante pour nous autoriser à le mettre en ligne...
N'ayant pu contacter son auteur, nous espérons qu'il nous en tiendra plus gré que rigueur. Tant son propos s'avère précieux aujourd'hui et utile aussi, nous l'espérons... pour l'équilibre et de la qualité du débat provoqué par la tentation de légiférer et/ou d'emprisonner ce qui dérange parce que peut-être symbole de liberté...
Bonne lecture.
La psychanalyse n’est pas une psychothérapie - Sergio Contardi
J’ai reçu récemment quelques lettres de France. Des lettres alarmantes, qui concernent une éventuelle réglementation de la psychothérapie de la part de l’Etat. Par exemple, et pour mieux situer notre débat, je vais vous lire quelques extraits de la "Résolution adoptée le 1 er février 2001 par le Comité de liaison général du Mouvement lacanien pour la psychanalyse
freudienne-Convergence".
"La psychanalyse, on y écrit, représente un enjeu de société crucial. Elle permet non seulement une résolution du symptôme, mais elle soulage également l’aliénation que les hommes reproduisent dans le lien social…les Etats - quelle que soit leur couleur idéologique - ont cherché à remplacer la psychanalyse par des psychothérapies adaptatives, la première d’entre elles ayant été la psychothérapie nazie ...". Un peu plus loin, écrit-on encore : "... Aujourd’hui, à l’heure du libéralisme mondialisé, il existe dans de nombreux pays de vastes projets de réglementation des psychothérapies, dont le résultat serait de marginaliser ou d’enterrer la psychanalyse."
Et encore: "L’appellation générale de " psychothérapie " recouvre des il ne saurait constituer un statut. Il existe des effets psychothérapeutiques, mais il n’y a pas de " psychothérapie " (notons que le terme de psychothérapie est ici au singulier) ..." "Le qualificatif de " psychothérapeutique " ne permet pas de définir le substantif d’un éventuel statut de psychothérapeute, titre qui égarerait le public avec la caution de l’Etat et aggraverait considérablement les problèmes de santé qu’il se proposerait de résoudre"…
Et j’achèverai par cette dernière citation : "Le Mouvement psychanalytique lacanien tient donc à souligner le danger qu’il y aurait à légaliser un titre officiel de psychothérapeute ... Si, malgré notre avis, une réglementation du titre de psychothérapeute devait voir le jour, la formation psychanalytique devrait être formellement exclue des textes concernés. En effet, une formation psychanalytique réclame, outre une analyse personnelle, d’appartenir ou d’avoir appartenu à une association psychanalytique. Il faut en outre souligner que, de leur côté, les psychanalystes ne réclament pas une réglementation de leur statut par un diplôme d’Etat...". Et ainsi de suite.
Voilà donc, dans les grandes lignes, le contenu de cette "?résolution?" avec laquelle, cela va de soi, je suis, en grande partie, d’accord. Je reprendrai plus loin quelques uns des problèmes qu’elle pose. Mais, moi…je viens d’Italie. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie, par exemple, que lorsque j’ai proposé au docteur Nasio le titre de ma conférence de ce soir, "La psychanalyse n’est pas une psychothérapie", je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ce titre, aujourd’hui, n’aurait plus aucun sens en Italie. Il ne serait certainement pas compris. Il surprendrait et provoquerait peut-être même une certaine indignation ... Jusqu’à il y a douze ans, il en allait tout autrement. Que s’est-il passé entre temps en Italie ?
Tout vient d’une une loi, la loi n° 56 de 1989, qui a institué un ordre des psychologues. Or cette loi est allée plus loin en réglementant juridiquement aussi l’univers de la psychothérapie.
Désormais, la formation des psychothérapeutes passe par des procédures de type universitaire ou para-universitaire, en réservant l’exercice de la psychothérapie aux seuls médecins et psychologues. Dans quelle mesure cela contraste-t-il avec notre éthique ? En quoi cela empêche-t-il l’analyste d’assumer la responsabilité de son acte ? De quelle manière cela incite-t-il à une pratique, en quelque sorte sauvage , de la psychanalyse ? De plusieurs façons. Nous allons en examiner quelques-unes.
1) Avant tout, en assimilant, tout au moins de manière implicite, la psychanalyse à la psychothérapie. A l’origine, l’article 3 de la loi en question parlait, je cite, de l’exercice des activités psychothérapeutiques ,y compris les activités analytiques ... Après un vaste débat, cette dernière petite phrase fut éliminée, laissant le champ libre à toutes les interprétations possibles de la loi. Les institutions, d’ailleurs, en ont donné immédiatement une interprétation restrictive, en énonçant que la psychanalyse est une psychothérapie. C’est la raison pour laquelle "la résolution", dont je vous ai lu quelques extraits, prétend, à juste titre, que si l’on est amené à légiférer dans le domaine de la psychothérapie, on doit en exclure explicitement la psychanalyse
2) La pratique analytique est donc réservée aux seuls médecins et psychologues. Ce qui entraîne un premier paradoxe. S’il est vrai que l’analyse n’est didactique qu’ après coup , autrement dit qu’elle n’existe pas a priori , il est tout aussi vrai, en principe, que n’importe quelle analyse peut devenir didactique. On comprend, dès lors, que l’on peut tomber dans le cas paradoxal de l’analyste obligé d’interrompre le travail didactique de l’analyse parce que l’analysant n’est ni médecin ni psychologue (sans compter que bien des protagonistes de l’histoire, même récente, de la psychanalyse, n’étaient ni médecins ni psychologues. Certains n’avaient même pas de diplômes universitaires).
3) Cette dernière objection émane, à son tour, de deux constatations indispensables à toute formation analytique :
a) Dans la formation du psychanalyste, l’analyse personnelle est considérée comme fondamentale par tous les composants du mouvement psychanalytique.
b) La relation entre l’analyste et le patient exige que la fonction symbolique entre les deux ne soit pas fixée à l’avance par une instance fondamentalement extérieure à la relation elle-même?: l’autorité de l’Etat, par exemple. En effet, la responsabilité de l’analyste ne peut pas être déléguée à une instance de type légal sans fausser tout le sens de la pratique analytique. S’il y a un tiers , dans le cas présent l’Etat, qui incarne l’Autre de l’Autre, l’analyste est automatiquement spolié de toute fonction symbolique, c’est-à-dire de la possibilité même de fonctionner en tant qu’analyste. Il ne subsiste que la possibilité d’une relation sur le plan purement intersubjectif, avec toutes les perversions que cela entraîne. Mais, surtout, cette loi, en assimilant la psychanalyse à la psychothérapie, tend à déléguer l’essentiel de la formation analytique à des parcours de type universitaire ou para-universitaire. Elle va donc à l’opposé de la direction choisie par Freud qui, c’est bien connu, a toujours voulu maintenir la formation des analystes à l’écart de la formation universitaire, et qui, dans l’Autriche non plus felix de 1926, réussit à ne pas faire approuver une loi réservant la pratique de la psychanalyse aux seuls médecins.
Du reste, si l’on consulte les comptes rendus du vaste débat parlementaire suscité par la loi n° 56/89, il saute tout de suite aux yeux, nous venons de le souligner, que le législateur a, lui aussi, hésité à faire entrer la psychanalyse dans la classe des psychothérapies. Comment s’en est-il donc tiré ? Grâce à une énième "?astuce de la raison". Il s’est contenté d’effacer matériellement le mot "psychanalyse" de la liste des psychothérapies, laissant donc à chacun le soin de deviner si elle était comprise, exclue, ou autre ...
La sentence épineuse appartient donc au juge…(Notons au passage qu’il y a actuellement en Italie de nombreux procès pour l’exercice illégal de la profession).
Dans l’attente du "?verdict?", nous avons tout loisir de répéter, que si, la psychanalyse n’apparait pas sous le mot psychothérapie dans
l’encyclopédie, c’est précisément parce que l’analyse est toujours un enchevêtrement inextricable de thérapie et de formation subjective. La thérapie ne se fait pas sans formation. La formation avance en provoquant des effets thérapeutiques. Vouloir diviser formation et
thérapie, en privilégiant à tout prix cette dernière, est une vieille erreur à laquelle les psychanalystes n’ont pas échappé. Je dirais même
plus : ce fut une conséquence de l’institutionnalisation de la psychanalyse. Comme le rappelle Safouan dans son ouvrage Jacques Lacan et le problème de la formation des analystes , cette division fictive fut introduite en 1924 quand, pour la première fois dans l’histoire du mouvement psychanalytique, la Commission pour l’enseignement de la Société de Berlin prit la décision de réglementer son activité.
Les choses se déroulèrent probablement comme le raconta Bernfeld en 1952 à l’occasion d’une conférence. Je le cite : A Vienne, dans l’entourage de Freud, on préférait l’idée d’offrir au nouveau mouvement l’occasion d’une étude sérieuse de la psychanalyse et de son application à toutes les branches de la thérapie et de l’éducation. A Berlin, par contre, on avait plutôt tendance à isoler les Sociétés psychanalytiques du mouvement culturel général et à faire de la psychanalyse une spécialisation au sein de la profession médicale. Un compromis fut trouvé entre ces deux courants, et les cliniques de Vienne et de Berlin décidèrent d’inclure dans le programme de
formation certaines dispositions pour la formation des non-médecins.
Mais il apparut très vite, et de façon de plus en plus ostentatoire, qu’ils recherchaient avant tout à distribuer des diplômes de psychanalystes. En fin de compte, ce fut la tendance berlinoise qui l’emporta.
Ceci se passait en 1924, mais les choses n’ont guère évolué depuis, du moins en Italie. En effet, soixante-dix ans plus tard, en 1996, la Société italienne de Psychanalyse se déclarait satisfaite d’avoir adhéré à cette loi après bien des hésitations ... si ce n’est qu’elle demande de fournir des diplômes non pas de psychothérapie, mais, pire encore, precisément de psychanalyse. Et, pour rester dans le domaine lacanien, comment ne pas rappeler que il y a eu qui, après lui avoir immédiatement donné son adhésion, est allé jusqu’à déclarer que cette loi était "une loi éclairée et qu’elle se présentait comme un facteur de progrès?". (Une loi, que je considère, je le répète, comme parfaitement contraire à l’esprit de la psychanalyse et dangereuse pour la survie de cette dernière en Italie).
Dans un tel climat "?culturel?", il ne faut pas s’étonner si, presque tous les jours, le psychiatre "?de service?" entonne, dans les colonnes de nos quotidiens, le De profundis pour la psychanalyse avant de poursuivre par un Gloria en l’honneur des neurosciences.
Comprenons-le bien, le projet est toujours celui, soutenu par une partie importante du discours scientifique, d’arriver à un humanisme sans éthique (c’est-à-dire religieux). Heidegger, Adorno, Marcuse et Althusser en stigmatisèrent, chacun avec ses propres arguments, les prémisses idéalistes et révisionnistes. Il n’en reste pas moins que le ton arrogant avec lequel on nous le ressert aujourd’hui vient du fait que une certaine partie du mouvement psychanalytique a renoncé à
poursuivre son rôle culturel et intellectuel dans le malaise de la civilisation. Il s’agit d’une déclaration de forfait sanctionnée également par l’adhésion des Sociétés italiennes de Psychanalyse à la loi réglementant la psychothérapie. Mais c’est justement parce que je considère, et les motifs que nous venons de voir n’y sont pas étrangers, que la tentative de réduire la psychanalyse à la psychothérapie constitue l’une des plus vieilles résistances à la psychanalyse, que je voudrais encore insister, peut-être avec une pointe d’obstination, sur les motifs qui font que la psychanalyse ne doit pas être comptée au nombre des psychothérapies; c’est-à-dire les logiques qui différencient ces pratiques. Je vais essayer de les résumer point par point.
- Difformité des buts et des objectifs. La psychothérapie est essentiellement tournée vers le bien-etre immédiat de l’individu, en s’attachant à éliminer au plus vite le symptôme. Dans l’expérience analytique, par contre, le but premier consiste à réintégrer la vérité
du sujet dans son discours, en s’efforçant de s’abstenir, comme disait Freud, de la furor sanandi typique du thérapeute.
-Incompatibilité sur le problème du savoir. La psychothérapie instaure avec le savoir un rapport que nous pourrions qualifier d’utilitariste. Fille de la modernité, au sens heideggerien du terme, elle s’appuie
sur la technique comme l’unique moyen de faire face au malaise de l’individu. En psychanalyse, par contre, le rapport avec le savoir est très particulier, du fait qu’il est à l’origine même du transfert. En d’autres termes, c’est l’amour que le savoir met en jeu dans une analyse; or, l’amour, comme on sait bien, est quelque chose de bien difficile à apprivoiser et à gérer. Du reste, la définition freudienne de l’inconscient nous indique qu’il s’agit d’un savoir effectuel. .
Mais c’est justement avec ce savoir impossible à maîtriser, qu’une analyse se deroule. C’est la raison pour laquelle, on le sait, la question même de la technique en psychanalyse se pose, pour nous psychanalystes, de manière aussi problématique. Tout compte fait, il faut le souligner, la psychanalyse est une expérience et non pas une expérimentation ou, pour mieux dire?: les psychothérapies, en particulier celles adaptatives, sont des thérapies sur le langage alors que la psychanalyse est une thérapie dans le langage.
Ces deux premières distinctions en entraînent une troisième qui nous pourrions entendre comme la position différente que ces deux pratiques entretiennent par rapport à la subjectivité. Si le sujet inconscient se détermine en tant qu’effet de la relation signifiante, la psychanalyse apparaît et se structure, dans l’invention freudienne, en laissant justement la place à le surgissement de cette éventualité subjective. Des associations libres de l’analysant jusqu’à la position d’écoute de l’analyste, dans sa fonction de tiers simbolyque, tout, au cours d’une analyse, procède dans cette direction, c’est-à-dire tend à ce que la fonction de la parole exerce son action dans le sens de la subjectivité, sans que l’autorité de l’analyste se substitue aucunement au Moi du sujet. La psychanalyse, il n’est peut-être pas inutile de le rappeler, est venue du refus de Freud d’employer des techniques hypnotiques. Mon travail avec des patients souffrant de maladies nerveuses eut un autre résultat : la mutation de la méthode cathartique , a-t-il écrit en 1924 dans son Autobiographie. A l’origine de cette mutation, Freud constatait que même les résultats les plus brillants étaient à l’improviste réduits au néant, au moment où le rapport personnel entre le médecin et son malade se trouvaient, pour une quelconque raison, perturbés. Je voudrais d’ailleurs insister sur cet extrait des écrits freudiens car, à mon avis, il ouvre une problématique fort intéressante. D’une certaine manière, Freud note que l’hypnose (que l’on pourrait considérer comme le prototype de toute psychothérapie) consiste essentiellement en une pratique ayant des effets thérapeutiques, sans, toutefois, conduire à la guérison. Mais il serait precipité conclure hâtivement que la psychanalyse est une pratique qui s’intéresse essentiellement au problème de la guérison…Les choses ne sont pas, en fait, aussi simples. Lacan, par exemple, souligne à plusieurs reprises que la guérison n’est qu’un bénéfice de surcroît. L’analyste doit bien se garder d’abuser du désir de guérir. Freud soutenait la même thèse lorsqu’il conseillait aux analystes de s’abstenir de la furor sanandi . Il ne se considérait d’ailleurs pas lui-même comme un bon thérapeute, allant jusqu’à faire des considérations frisant le cynisme, telle que dans cette lettre adressée à Jung en 1909 : Je me dis souvent pour faire taire ma conscience?: ton but ne doit surtout pas être de guérir. Tu dois plutôt songer à apprendre et à gagner de l’argent. Celles-ci aux niveau des répresentations conscientes sont les plus utilisables. Et pourtant, comme je l’ai déjà fait remarquer, la psychanalyse est justement née de la constatation de l’impossibilité de la part des autres pratiques "?psy?" de joindre à la guérison effective du patient. Et Freud lui-même a écrit à de nombreuses reprises que, par rapport aux autres procédés psychothérapiques, la psychanalyse est certainement le plus puissant. Comment expliquer cette contradiction apparente ? Je vais essayer d’en donner une première formulation. La diminution de la souffrance psychique de l’individu (la thérapie donc) s’effectue au cours de l’analyse dans un registre différent (même s’il est étroitement connexe) de celui où se produira ce que l’on appelle guérison en analyse, unique garantie qu’une thérapie a effectivement eu lieu. Guérison, que je définis, avec Freud, comme joindre à modifier l’économie de la libido du sujet ou, avec Lacan, comme subversion subjective . Pour l’istant, je me limite à remarquer que la psychanalyse, dans le passage de l’hypnose à la théorie du transfert, se définit meme comme une prise de position par rapport à la suggestion. Je veux dire par-là qu’elle ne l’exclut certainement pas de son champs d’action, chose d’ailleurs impossible en tant que pratique de parole, mais qu’elle procède précisément en articulant la suggestion. Par contre, toute psychothérapie procède, structurellement, le long d’une pratique qui reste essentiellement
suggestive.
Ces considérations nous conduisent à la dernière différence entre psychanalyse et psychothérapie, qui est peut-être la plus importante de la liste partielle que j’ai faite?: -En effet, la psychothérapie et la psychanalyse se distinguent surtout en ce qu’elles appartiennent à deux structures différentes de discours. Lors de son Séminaire de 1954-1955, Lacan affirmait que l’on avait toujours fait de la psychothérapie sans bien savoir ce qu’il faisait, mais en faisant, de toute manière, intervenir la fonction de la parole. Nous pouvons remarquer que la confusion entre ces deux pratiques, la pratique que j’appelle de manière générique et conventionnelle psychothérapie et celle que j’appelle analyse (confusion qui persiste d’ailleurs encore aujourd’hui), vient justement de ce que, dans l’une et l’autre, la fonction de la parole intervient, de toute facon, à produire ses effets. C’est un aspect commun à la psychothérapie et à la psychanalyse, et impossible à éliminer. A ce stade, définir la psychanalyse comme expérience de discours , ce qui explicite la différence entre la fonction de la parole et la structure du discours, nous permet sans aucun doute de
mieux comprendre le clivage entre ces deux pratiques. Du reste, que la psychotérapie soit une prothèse du discours medical dont, par consequence, elle condivise intégralement la structure, et que le discours médical soit l’inverse meme du discours analytique, ceci sont des faits si emplement démontres par la récente littérature psychanalytique, qu’il me parait seulement une perte de temps d’y insister encore.
Vous voudrez bien, je l’espère, me pardonner pour la partialité de cette liste et pour la rapidité avec laquelle j’en ai fait le tour. Je devais nécessairement faire allusion à ces différents points afin d’éviter tout malentendu avant de poser à nouveau les bases du problème qui fait l’objet de mon intervention. En effet, si la psychanalyse n’est pas une simple psychothérapie, quel sens peut-on attribuer aux signifiants thérapie et guérison dans le contexte du discours analytique?? Je pose cette question dans une intention bien précise?et je tiens à faire tout de suite remarquer que je ne suis certainement pas de l’avis de ceux qui considèrent que la guérison est un concept étranger à la psychanalyse, ou qu’elle est une idée préconçue ou un préjugé de l’analyste. Je pense que cela n’est vrai que dans la mesure où l’on se limite à extrapoler le mot guérison du champ du discours médical et à le reverser dans le discours analytique sans le redéfinir. Je me souviens, par contre, que Freud affirme que la guérison est un concept éminemment métapsychologique . Je peux donc, au-delà de ce que j’ai prétendu jusqu’à présent en distinguant la thérapie de la guérison , préciser ma pensée et spécifier que, contrairement à la praxis médicale, où la guérison est le fruit de la thérapie conduite jusqu’à son heureuse conclusion (étant donné que dans le discours médical il n’y a pas d’opposition entre thérapie et guérison, mais, plutot, une ligne de continuité), dans la pratique analytique les effets thérapeutiques ne vont pas spontanément en direction de la guérison. Dans un certain sens, on peut même considérer qu’ils s’y opposent.
Donc, nous pourrions formuler notre question aussi en ces termes?: la psychanalyse montre clairement que le sujet veut se sentir mieux, en éliminant ou en diminuant ses souffrances psychiques, mais qu’il ne désire pas guérir. Je ne dis d’ailleurs rien de particulièrement nouveau puisque c’est le problème que Freud se posait déjà dans son ouvrage Analyse finie et infinie. C’est une question très étroitement liée au terme de toute analyse. A un certain stade, souvent, et le phénomène est bien connu, les analyses s’interrompent brusquement ou bien s’orientent de façon telle qu’elles deviennent pratiquement interminables. Freud, vous le savez, considère que la difficulté à conduire une analyse jusqu’à son terme vient de ce que l’on peut bien nommer "?le roc de la castration?". Fort de ces considérations, aussi que succinctes, je vais maintenant approfondir la question de la thérapie en psychanalyse. Mais, pour ce faire, il me semble qu’il est indispensable de commencer par s’interroger sur ce qui est à l’origine de n’importe quelle thérapie et qui en est l’objet: je veux parler du symptôme. En effet, c’est justement dans ce que la théorie psychanalytique nous dit du symptôme névrotique que se cache la clé permettant de comprendre l’aporie dont je vous parle. Je vous propose donc de définir le symptôme de la façon suivante. On peut appeler symptome névrotique tout ce qui provoque et cause une demande d’analyse. Ce n’est certainement pas la seule définition possible, ni la meilleure, mais elle présente l’avantage de relier de manière très précise le symptôme et la demande d’analyse, et donc, de rendre compte, par exemple, de la raison pour laquelle l’analyste suspend ces deux phénomènes pour permettre au désir, qui les sous-tend, d’émerger. On pourrait même aller jusqu’à affirmer qu’en psychanalyse, le symptôme n’existe qu’au moment où il se manifeste dans la demande que le patient formule à un analyste. Ni avant ni après. Pas avant, parce que seule la subjectivité qui se formule dans la demande le qualifie comme symptôme. Pas après, puisque au moment même où le symptôme s’articule dans la demande, il n’est plus traité en tant que symptôme. A ce point-là, c’est déjà quelque chose d’autre. Cela devient une affaire de transfert qui a pour tâche de nous accompagner le long du chemin conduisant au noyau fantasmatique de l’analysant. Donc, même sous cet angle, on voit clairement la relation que le symptôme entretient avec la structure qui le détermine. Disons qu’au sens freudien du terme, le symptôme est une formation de l’inconscient . Ceci étant, essayons de résumer la manière dont Freud définit le symptôme. Il le fait essentiellement de trois manières. Premièrement, le symptôme est une formation de compromis; deuxièmement, c’est un retour du réfoulé; troisièmement, c’est une satisfaction substitutive d’un désir inconscient. Mais arrivés à ce point, nous sommes en droit de nous demander en quoi se différencie le symptôme des autres formations de l’inconscient?: le lapsus, le rêve, le mot d’ésprit, etc?? Principalement pour cette raison?: que le symptome névrotique implique toujours la souffrance psychique, et c’est justement cet aspect qui pousse le sujet à formuler une demande de guérison. Mais si cela est vrai, il faut considérer que la formulation freudienne renferme aussi un autre aspect du symptôme, qu’il convient de rappeler ici dans son essence la plus radicale. C’est l’autre face du symptôme par rapport à celle de la souffrance. Le symptôme, écrit Freud, est une satisfaction substitutive d’une désir inconscient. C’est donc une jouissance qui tombe à la place d’une autre. Mais c’est justement cette satisfaction - que le symptôme renferme en lui-même de manière aussi obstinée - qui s’oppose, comme je l’ai rappelé, au terme d’une analyse. Il s’agit, en effet, d’une jouissance atteinte malgré la Loi , en évitant la castration. En effet, on peut lire en ces termes, dans une dialectique entre jouissance et désir, la fameuse expression roc de la castration , dont Lacan donne cette nouvelle interprétation?: La castration veut dire qu’il faut que la jouissance soit refusée, pour qu’elle puisse être atteinte sur l’échelle renversée de la Loi du désir. Prise dans ce sens, on peut affirmer qu’une analyse n’arrive à son terme que si elle provoque une révision éthique de la position du sujet, en le confrontant, justement, avec la castration qui le concerne. Ces dernières remarques confirment d’ailleurs ce que je disais au début de mon discours, à savoir que l’on ne peut pas mettre la psychanalyse dans le même panier que les psychothérapies. Et on ne peut pas le faire, entre autre chose, car l’analyse est une pratique qui comporte une éthique très particulière. Il s’agit de celle que Freud a fait naître en explorant la logique de l’inconscient. Il ne s’agit pas d’une généralisation éthique, c’est-à-dire d’une morale ou d’une déontologie, ni même d’une éthique ressemblant à d’autres appartenant à l’histoire de la pensée occidentale (je pense, par exemple, à celles d’Aristote et de Kant). L’éthique dont je parle n’est que l’éthique de la psychanalyse , qui sort en opposition à la déformation éthique de la névrose. Avec Lacan, l’argumentation est facile à suivre. Si, dans l’acception freudienne, le symptôme est une satisfaction substitutive et, par là même, une formation de compromis entre le désir et sa satisfaction, il faut alors bien admettre que la structure névrotique du symptôme comporte, avant tout, pour un sujet, un "?ceder sur son désir?". Il en découle le sentiment de culpabilité et l’aspect de souffrance liés au symptôme. En d’autres termes, je crois qu’en psychanalyse, on peut soutenir la thèse selon laquelle le symptôme est meme une déformation éthique . C’est la raison pour laquelle nous pouvons affirmer que la cure analytique est une cure éthique, puisqu’elle conduit l’analysant à se confronter avec la vérité de son propre désir inconscient jusqu’à rejoindre une position subjective où il soit possible ce que Freud qualifie de révision de jugement (la Urteilsverwerfung ), éventuellement de condamnation (la Verurteilung ) du mouvement pulsionnel. Dans son essai sur le Refoulement , Freud écrit?: Dans le cas de la pulsion, la fuite ne sert à rien, puisque le Moi ne peut fuir à lui-même. Ensuite, le moment viendra où l’on trouvera dans la révision du jugement un bon moyen contre le mouvement pulsionnel…
Je conclurai en disant que je pense que l’on peut aller jusqu’à affirmer que la psychanalyse est, dans le sens où je l’ai abordée, l’unique pratique "psy" à se poser réellement le problème de la guérison du sujet qui souffre. C’est aussi pour cette raison qu’elle ne peut pas être considérée simplement comme une psychothérapie.
Mais on ne peut le dire, naturellement, que si l’on considère que Freud était dans le "?juste?" lorsqu’il parlait de la psyché humaine, du parlêtre, pour utiliser le néologisme lacanien. Ou, simplement, comme l’a déjà dit Foucault,si on veut être juste avec Freud.
Conferenza tenuta a Parigi il 7 giugno 2001 nell’ambito delle riunioni dei "?Séminaires psychanalytiques" diretti da J. D. Nasio.
c. Sergio Contardi.
Revue de presse
Psychothérapies, élément d'un débat
La psychanalyse, un mot dans la presse et sur le web