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Un paradoxe de Winnicott
Centre d’Etudes du Vivant
Centre d’Etudes en Psychopathologie et Psychanalyse
Université Paris 7 – Denis Diderot
Un paradoxe de Winnicott :
La nature humaine est-elle une notion psychanalytique ?
Organisée par C. Cyssau et F. Villa.
Samedi 27 novembre 2004
Amphi. Lefebvre, Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne
Le titre : la nature humaine de l’ouvrage posthume de D.W. Winnicott engendre la perplexité. Par quel cheminement un psychanalyste peut-il être conduit à réintroduire une notion aussi peu évidente que celle de nature humaine ? C’est, d’autant plus surprenant que l’on aurait tendance à penser que la pratique et la théorisation psychanalytiques ont largement contribué à rendre l’usage d’une telle notion sinon désuet, pour le moins problématique. Que faut-il alors penser de ce retour de la nature humaine dans la réflexion psychanalytique de Winnicott ? S’agit-il d’une régression ou d’une avancée de la pensée ?
La réflexion de Winnicott supporte de se confronter à des questions essentielles non seulement pour ceux qui pratiquent la psychanalyse, mais pour tous ceux qui sont engagés dans l’étude de l’humain, toujours en devenir, vivant dans un monde toujours en mouvement, en construction.
Les reformulations qui s’effectuent dans ce travail constituent un legs de questions déconcertantes. Nous en dégagerons six comme fil rouge de cette journée. La première concerne la méthode retenue pour cette étude de la nature humaine. La deuxième porte sur l’objet nature humaine qu’elle construit et dont découle la notion du « self ». La troisième nous invite à reconsidérer positivement l’idée de santé. La quatrième interrogation concerne une conception du développement inséparable de l’environnement, d’où sa complexité dans la pensée de Winnicott. L’articulation des précédentes questions conduit à s’interroger sur la conception anthropologique de Winnicott, sur sa théorie de la culture. La dernière question est une variante de la première : comment transmettre le savoir « acquis » par l’expérience clinique et sa théorisation ? À qui et où le transmettre ?
Human nature paraît en 1988, il sera traduit en 1990 par Bruno Weil. Il est loin d’être évident que Winnicott ait envisagé de publier ce texte qui l’a pourtant occupé pendant près de 24 ans. Il est écrit après sept ans d’enseignements donnés à l’Université à l’intention d’étudiants se destinant au travail social dans le dessein de libérer leur attention en les dispensant de prendre des notes pendant ces cours qu’il continua de donner jusqu’à sa mort en 1971.
On peut se demander si le destin de ce texte ne met pas aussi en œuvre la théorie winnicottienne du développement ? Le texte dont nous disposons est l’évolution lente d’une première version écrite sans hésitation en 1954, il est le dernier état d’un écrit que la mort a interrompu et dont le contenu n’avait pas cessé d’être repris et remanié pendant 17 ans. N’avons-nous pas, ici, accès à l’atelier, au chantier toujours ouvert d’où émergent les textes publiés (notons au passage que « Objets transitionnels et phénomènes transitionnels » est de 1951) ? La manière dont est fabriqué ce texte ainsi que le statut paradoxal de son objet d’étude nous éclaire sur les enjeux méthodologiques.
Winnicott est confronté, dans sa clinique, à des formes du transfert et du contre-transfert qui semblent rendre impossible le travail analytique. C’est alors la capacité de l’analyste à pouvoir le rester qui est sollicitée. Ce qu’il rencontre en ce point limite est ce qu’il nomme nature humaine. Bien qu’il admette que l’objet choisi n’a pas de limite, Winnicott veut parvenir à une description personnelle qui ne pourra pas le circonscrire totalement et qui restera donc limitée. Cette limite d’approche n’est pas spécifique à la psychanalyse, mais serait commune, selon Winnicott à toutes les disciplines qui s’occupent du vivant humain. Penser ainsi oblige à reconnaître l’exigence méthodologique, « pour décrire le genre humain », d’une pluralité d’approches (pédiatrique, religieuse, psychanalytique, psychologique, philosophique, psychiatrique, génétique, écologique, sociale, culturelle, économique, juridique).
Au moment où elle est posée comme objet d’étude, la nature humaine s’avère ne pas en être vraiment un, car elle déborde toute possibilité d’appropriation exclusive par un champ scientifique déterminé. Le paradoxe est que l’étude de la nature humaine est une tâche qui relève de la nature humaine. Winnicott soutient ici une position métapsychologique complexe.
Winnicott choisit d’aborder la nature humaine à partir de la question du développement de l’enfant. En procédant ainsi, il construit une conception psychologique de la santé qui n’est pas l’équivalent d’une absence d’affections psychopathologiques. Pour lui : « la santé a sa propre signification positive », elle existe et se constitue indépendamment de la pathologie. Ce livre, en reconsidérant positivement l’idée de santé, d’une part, nous oblige à repenser l’articulation entre le normal et le pathologique et, d’autre part, à partir de là, il nous contraint à réinterroger sur le statut également paradoxal de la question du développement dans la théorie winnicottienne.
La nature humaine apparaît chez l’enfant, comme « un modèle qui persistera, un peu comme le visage, qui reste identifiable durant toute la vie de l’individu ». Elle relève tout autant de la nature que du culturel. L’environnement, pensé au travers de la notion de nature humaine, est, en effet, à la fois l’accidentelle rencontre du monde, du maternel, de l’autre et il touche au constitutionnel, au biologique : l’environnement winnicottien est à double face, en même exogène et endogène. Il est le lieu où l’ontogénétique et le phylogénétique se nouent et où il s’avère que le roc constitutionnel du biologique peut être remanié par les expériences qui surviennent au cours du développement de la vie. La pensée de Winnicott s’inscrit dans une logique de la série complémentaire. La théorie du développement pourrait engager avec la question complexe de l’environnement, une théorie de la culture, une théorie du social, une théorie du biologique et une théorie de la transmission du vivant. Y a-t-il ici un renouvellement de la perspective anthropologique ?
En affirmant que c’est par la question du développement qu’il allait aborder son étude, Winnicott laisse croire au lecteur qu’il l’emmène sur ses terrains familiers. Mais au décours de la lecture, nous ne pouvons que nous rendre à l’évidence : la pensée de Winnicott est d’une complexité encore plus grande que nous ne l’imaginions et son rapport à l’œuvre freudienne serait peut-être bien moins lâche que nous ne pouvions le croire. Nous conclurons cet argument par une citation qui montre comment la vitalité de sa pensée ne cesse de déconcerter le lecteur : « En choisissant d’aborder l’étude de la nature humaine par la question du développement, qui permet le recentrage des différents points de vue, j’espère pouvoir rendre clairement la façon dont, à partir d’une fusion primaire entre l’individu et l’environnement, quelque chose fuse, l’individu mettant en jeu ce qu’il veut et devenant capable d’exister dans un monde qui ne veut rien ».
Programme.
Matin
9h15 Accueil des participants
9h30 C. Cyssau : Introduction
10h Pr. D. Lecourt : La nature humaine : une notion philosophique
discutant : Pr. J. André, P.-H. Castel
11h pause
11h15 Dr M. Gribinski : Dans un monde qui ne veut rien
et Pr. P.-L Assoun : L’homme-symptôme : Winnicott a-métapsychologue
(deux communications suivies d’une co-discussion)
12h30 déjeuner
Après-midi
14h30 Pr. F. Richard : Winnicott : métapsychologie et pensée de la complexité
discutant : Dr. M. Bydlowki
15h15 pause
15h30 Table Ronde dirigée par M. David-Ménard avec Pr. J.-F. Chiantaretto, Pr. A. Vannier, C. Cyssau, F. Villa : Difficultés et problèmes de l’enseignement donné par des psychanalyste à des non-analystes
17h F. Villa : synthèse de la journée.