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Paranoïa ?
La psychanalyse en proie à la paranoïa
Comme elle résonne à grands cris cette levée des boucliers psychanalytiques face à l'amendement Accoyer. Le philosophe Bernard-Henri Lévy y va d'ailleurs aussi de son point de vue (Libération du 8 janvier), non en qualité d'analysant mais en celle de fin penseur de la création freudienne et de sa relecture lacanienne. Félicitons-le au passage d'avoir saisi tous les arcanes du transfert sans jamais avoir goûté de la cure... Les analystes étaient-ils à ce point en besoin d'un tel renfort médiatico-intellectuel ? Voilà en tout cas rappelé, avec un indéniable brio, quelques fondamentaux de la psychanalyse. On peut douter toutefois qu'il s'agisse, en son texte comme en d'autres, de l'angle approprié. Que des professionnels réagissent à telle ou telle législation qui modifierait leur exercice, rien que de plus normal : la joute, comme légitime réaction d'une corporation professionnelle, participe de la richesse du débat social. Enfin, tout de même, lire que la discipline est«visée», que les analystes sont «menacés», prête à sourire. Perplexité amusée, en effet, à entendre la psychanalyse en proie à quelque frilosité sensitive, elle dont le fondateur sut si bien mettre à jour la dynamique paranoïaque... Qui peut raisonnablement croire que la mieux installée des thérapies (par son antériorité à d'autres approches, par sa hauteur de vue conceptuelle et pratique, par son imprégnation socio-économique et universitaire justement) soit tant confrontée à sa potentielle disparition par ce seul texte ? La question de son effritement n'est pas nouvelle, et il serait si facile de rendre une loi médiocre responsable de sa mort annoncée... L'amendement, voté à la va-vite, est certes maladroit, idiot et réducteur, mais, dans sa réalité, son implication chez les psychanalystes sera nulle, ce qu'ils savent pertinemment. Ledit texte n'a visiblement pas l'intention et n'aura jamais les moyens (voyons, lesquels ? Des micros ? Glissés adroitement dans les plis du divan ?) d'examiner ce qui se joue dans le secret du transfert. Le trouble est que nous assistons à une rupture de sens, entre deux propos, plus précisément entre deux niveaux de discours : deux Lois celle d'une République qui abuse de textes, celle d'un inconscient qui ignore la censure dont les zélateurs respectifs sont convaincus que l'une supplante l'autre, ce qui confine à l'absurde. Nos élus légifèrent trop, et parfois mal, mais les psychanalystes en concluraient-ils, dans la noblesse et la singularité de leur pratique, qu'il n'est de Loi que leur, dont ils reconnaissent la validité ?
Laurent Berges
Un lecteur de Libération