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Se savoir entendu c'est se sentir compris À l'écoute de l’inconscient
Se savoir entendu c'est se sentir compris
À l'écoute de l’inconscient
Le rêve n’est pas un objet neutre et il n’existe pas de clef universelle pour le décrypter. C'est dans l'univers de chaque rêveur que l'on puise celles qui faciliteront la compréhension de ce qui tend à s’exprimer à travers ses rêves. Ces mêmes clefs participent au déchiffrage de toutes les autres formations de l’inconscient qu’il produit : lapsus, actes manqués, mots d’esprit…
Marie arrive à une séance en me saluant avec un sourire froid mais poli. Elle s'installe, silencieuse. On la sent en retrait. Au bout de quelques minutes, quand le silence devient lourd, elle déclare qu'elle veut arrêter, parce qu'elle n'avance pas. Elle explique que ça ne lui sert plus à rien de venir, que « c’est décidé », qu’elle va arrêter, son ton est ferme, presque agressif. Et bientôt, elle s’enferme à nouveau dans le silence, comme pour me faire entendre que ce n’est pas la peine d’insister.
La séance précédente pourtant, elle était arrivée heureuse de rapporter combien le travail accompli depuis plus d'un an donnait enfin ses fruits. Elle avait noté ses progrès en se comparant à l’une de ses jeunes soeurs. "C’est vrai, je m’aperçois combien ce travail m'a permis d'avancer au contraire de ma soeur... Elle, elle reste dans le déni de ses souffrances enfantines, elle ne reconnaît rien du tout. Pour elle, on a eu une enfance bénite, je n’ai jamais été battue. Elle me dit que je me fais des idées. Elle se réfugie dans son travail. À ses yeux, il n’y a que ses spectacles et sa danse qui comptent. Mais j'ai l'impression qu'elle fait subir à sa fille ce que nos parents nous ont fait subir. D’ailleurs, la petite, on a fêté son anniversaire hier, elle n’a plus envie de devenir danseuse comme sa mère !»
Marie avait insisté alors sur le fait que pour la première fois de sa vie, elle s'était vécue comme l'aînée. D’habitude, elle avait beau être l’aînée des trois filles, ce sont ses plus jeunes sœurs qui la protégeaient, la conseillaient, la consolaient dans ses difficultés amoureuses. Elle en avait retiré un sentiment de plénitude et de satisfaction apaisantes bien loin du sentiment de supériorité ravageur, derrière lequel elle a pris l’habitude de se défendre en humiliant de plus faibles, sitôt qu’elle-même a l’impression d’être mise en position de faiblesse. Elle avait alors mesuré, avec fierté et émotion, le chemin parcouru.
Ce jour-là, il semble qu’il ne lui en reste plus rien. Elle se plaint de ne pas avoir avancé, que c’est la même chose depuis plusieurs années. Qu’elle n’en peut plus de piétiner (les hommes)[1], de faire du sur place. Et, d'un ton méchant réaffirme qu'elle veut tout arrêter parce que « ça ne lui sert plus à rien » de venir. Le silence qui s’en suit se fait long et chargé d’agressivité. Mais, quelques minutes avant l’heure, pressentant, sans avoir besoin de vérifier, la fin de la séance, elle fait mine de se lever. Puis me regardant, mi implorante mi coupable, demande « Est-ce que j’ai encore un peu de temps... ? J'ai fait un rêve. Je peux vous le dire. Si vous voulez.» Et s’en attendre de réponse, ou évitant cette dernière, elle se mit à me le raconter.
Ce rêve était si riche en informations sur tout le travail accompli et à venir que je choisis ne pas le rapporter entièrement ici pour ne pas perdre le lecteur dans ses multiples ramifications. Je n’en relèverai que quelques détails utiles pour notre propos. Il se trouve que le prénom d’une jeune fille dont elle avait rêvé commençait par les mêmes lettres que le prénom de la maîtresse actuelle de son ancien amant et qu’il renvoyait[2] à une autre jeune fille qui portait le même prénom que moi, sans que Marie dans un premier temps ne s’en formalise ni ne semble s’en être aperçue. Alors qu’elle prétendait vouloir arrêter (de venir) parce qu'elle n'avançait pas, le rêve au contraire donnait à voir qu'elle avançait ne serait-ce que parce qu’elle commençait à acquérir une meilleure opinion d'elle-même. Mais d’autres détails le confirmaient. Elle y voyait, marchant dans une ruelle, la maîtresse (actuelle) de son (ancien) amant et elle en parlait comme d’une femme vraiment bien. Elle découvrait que cette femme n’était pas si antipathique qu’elle l’avait crû, ni si méprisable, et que finalement, elle lui ressemblait. Elle en déduisait que si son ancien amant avait pu trouver « quelqu’un de bien », il n’y avait plus aucune raison qu’elle-même ne trouve pas aussi « quelqu’un de bien ». Elle n’était pas si nulle que cela.
Entendre Marie, ici c'était entendre qu'elle voulait arrêter, oui, arrêter, mais c’était surtout parvenir à décrypter, avec elle – et non contre elle - ce qu’elle voulait arrêter. En décomposant le rêve lors des séances suivantes, elle a fini par envisager qu’elle souhaitait en fait arrêter de se conduire comme elle se conduisait. Comme une petite fille autoritaire et capricieuse qui parvenait toujours à se faire dorloter par de plus jeunes qu’elle pour monopoliser l’attention, et qui par ailleurs humiliait les hommes aussitôt qu’elle les avait conquis. Qu’elle n’en pouvait plus de régner sur son « petit monde » et de se sentir toujours plus forte, si forte qu’elle finissait par mépriser – et piétiner - ceux qu’elle avait aimés. Cette façon d’agir lui donnait l’impression qu’elle n’était pas « une femme bien», alors qu’elle aspirait à le devenir. Elle prit peu à peu conscience que c’est elle-même qu’à travers eux elle méprisait, qu’elle détestait sa propre dureté et que ses conduites d’échec sentimental à répétition la démoralisaient alors qu’elle semblait toujours en sortir la tête haute. « Elle en avait assez de piétiner » ! Elle commença à entrevoir que c’est cela qu’elle voulait arrêter, tout en craignant si fort de ne pas y parvenir qu’elle rechignait à s’en donner les moyens, en poursuivant son analyse. Être à son écoute, ce jour-là et les suivants, ce fut aussi lui permettre d’entendre qu'elle avait envie de progresser et qu'elle entrevoyait la possibilité de ces progrès. Mais que sa peur de ne pas y arriver contrariait les efforts qu’elle avait déjà faits au risque de l’empêcher d’en produire de nouveaux et de gâcher les précédents.
"Je comprends, il faut que vous arrêtiez. Je suis d'accord. » fut ma première réponse, une fois qu’elle eut fini de raconter son rêve. J’avais entrevu tout ce que je viens d’évoquer. Je me suis gardée de lui en faire part. Je me suis contentée de lui dire, d’un ton qui laissait entendre que je l’avais comprise et soulignant l’importance de ce qu’elle avait apporté, que nous continuerons à parler de tout cela la prochaine fois. C’est avec un regard inquiet qu’elle est partie.
Je ne savais pas si elle allait revenir, sa détermination m’en avait laissé douter, mais je le souhaitais vivement. Sans doute ce souhait a-t-il transparu dans ma façon de la saluer.
La semaine suivante, elle est arrivée rayonnante. Fière d'elle. Et pour la première fois ponctuelle !
Faisant partie de ces personnes qui laissent parler leurs actes à leur place, elle avait en effet arrêté, oui... Arrêté, dans un premier temps, d’être en retard et, dans le même mouvement, commencé à arrêter de se mépriser pour ces retards ! Sur les quarante-cinq minutes de séance, elle s’en était rarement octroyé jusque-là plus de vingt !
Je l’ai déjà dit, ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans le détail du rêve, mais on peut souligner une fois de plus que c’est l’attention égale portée aux matériaux qu’il contenait, jusque dans leurs nuances, qui autorisa l’avancée que cette jeune femme désirait si ardemment qu’elle finissait par la redouter au risque de se mettre en échec.
Nous pûmes voir qu'elle s'était mise en rivalité avec une personne « bien », une de ces personnes qu'elle enviait depuis sa toute petite enfance. Mais que cette personne n’était « nulle autre qu’elle-même ». Elle devinait ses qualités en puissance (celles qu’elle prêtait à la maîtresse de son ancien amant, alors qu’elle ne connaissait pas cette femme que pourtant elle jalousait) mais elle était incapable jusque-là de les faire valoir. Nous pûmes voir aussi, qu’elle disait vouloir arrêter (sous-entendu sa psychanalyse), et ne plus venir me voir, au moment même où elle commençait à s'apprécier et à « m'identifier à quelqu'un de bien[3] » qui lui renvoyait dans le rêve une image d’elle respectable, légèrement intimidante . « Pas si nulle que ça ». Elle prit conscience que c’est à une voie intérieure qui la mettait en échec qu’il lui fallait s’opposer. Plus qu’à la psychanalyse. Et qu’elle voulait en fait arrêter, mais surtout arrêter de commettre des actes qui l’empêchaient de s’identifier à « quelqu’un de bien ». À l’entendre au premier degré, on comprenait qu’elle s'apprêtait à arrêter ce travail – sous prétexte qu’il ne lui apportait rien (de bien) alors même qu’elle en percevait enfin les premiers bienfaits.
Si je m’étais opposée à elle, je n’aurais pas été « quelqu’un de bien… » . J’aurais été identifiée aux personnes précédentes qui lui avaient tenu tête en lui signifiant qu’elle avait toujours tort. Qu’elle ne faisait jamais rien de bien, comme d’ailleurs elle-même se le reprochait lorsqu’elle se méprisait de ne pouvoir avancer. Et qu’elle finissait par se décréter « nulle ou moins que rien ». Ici, elle avait besoin d’être approuvée, pour sentir dans le même temps qu’elle avait raison de vouloir en finir (avec certaines conduites d’échec), sans avoir d’autres moyens que celui détourné du rêve pour le faire entendre.
Elle était depuis toujours en bute à la rivalité et à la jalousie. Celles qu'elle éprouvait vis-à-vis de sa « petite » soeur entraient en correspondance douloureuse avec celles de sa mère à l’égard d’un « petit » frère – le seul oncle de Marie que toute la famille… méprisait. Elle-même n’avait pu jusque-là renoncer à être « la petite ». Ce pourquoi elle restait la petite sœur de ses plus jeunes sœurs. Ce dont elle retirait plus de honte que de plaisir et qui l’amenait à penser qu’elle n’était pas « quelqu’un de bien ». Sa jalousie la paralysait ou la mettait en rage. Et l’empêchait d’avancer tout en lui renvoyant une image d’elle-même méprisable qu’elle finissait par projeter sur ses amants. Elle restait obstinément la petite-fille qui avait besoin d’être acceptée, accueillie, entendue, sans être ni contredite, ni injustement réprimandée, ni battue. Mais elle se détestait de ne pouvoir avancer dans sa vie amoureuse et de « piétiner » (les hommes) au risque de se condamner à ne jamais avoir - contrairement à ses sœurs et à ses aspirations ! - une relation amoureuse heureuse.
Il s’agissait que mon écoute lui renvoie une image d’elle-même positive qui lui permette de s’affirmer et de s’identifier comme elle m’identifiait (aussi) dans son rêve « à quelqu’un de bien » qui pourrait enfin réussir en amour comme (elle imaginait que) son ancien amant réussissait aujourd’hui.
La psychanalyse est acte d’amour. Et l’attention que l’on porte à l’analysant preuve de cet amour.
Ainsi s'agit-il toujours d'entendre ce qui se dit derrière ce qui est donné à entendre. Sans toutefois le dévoiler ni trop tôt ni trop vite. Il n’est pas question en effet de livrer à l’état brut ce que l'on perçoit mais de le distiller, tout en en prenant le temps et en invitant le patient à ne pas céder à l'impatience mais à prendre lui aussi le temps de ... bien s'entendre.
Ce dont je me suis gardée ce jour-là, c'est de rappeler à Marie qu'elle ne cessait de dire qu'elle avait envie d'arrêter, depuis quasiment la première fois qu’elle était venue me voir.
C'était son symptôme. Il fallait l'entendre. Et attendre le bon moment pour lui dire "Oui, il est temps que vous arrêtiez » sans que ce ne soit entendu comme "Je suis d’accord ou peu m’importe que vous arrêtiez votre cure, en ce moment précis, que vous vouliez arrêter de vous faire du bien "...
L'inconscient de l'une étant branché sur la même longueur d'onde que celui de l'autre, les rares mots que je lui ai adressés, au moment de son départ, ne pouvaient être que bien interprétés. D’autant plus que ce rêve était le premier qu’elle apportait. Autrement dit, ce faisant, elle avait déjà arrêté de s’obstiner dans certains refus qui l’empêchaient d’avancer !
Ainsi l'acte symptomatique (acte manqué, rêve, lapsus, silence ) doit-il être entendu au deuxième ou au troisième degré. Décodé, décrypté, déchiffré…. Et parfois même - bien souvent - comme l’un des échos de ce qui s'est joué une ou deux ou trois générations plus tôt.
À l’écoute du symptôme
Le rêve de cette analysante et sa volonté d'en finir ou d’arrêter (qui s'était déjà manifesté deux ans auparavant par une tentative de suicide) révèle son point de douleur. Ce qui lui résiste et ce sur quoi elle (se) bute. C'est le point dans lequel s'origine la répétition. Et c'est sur ce point que porte l'interprétation.
En psychanalyse, c'est l'écoute attentive et attentionnée qui est portée à l’analysant - par l'intermédiaire de l'attention (également) flottante qui a bien souvent valeur d'interprétation. Il s’agit d’abord d’accorder à chacun l’attention dont il a besoin. Ce n'est qu'ensuite que l'on peut éventuellement reconstituer ce qui s'est (re) joué durant les séances. Mais si le psychanalyste éprouve le besoin d'expliquer, pour asseoir sa pratique et aussi la transmettre, l'analysant pour sa part éprouve rarement le besoin d’explication. C'est un peu comme s'il disait "peu importe du moment que vous me comprenez et que je vais mieux". Il n'est pas tant nécessaire pour lui de savoir ce qui le troublait que de s'en débarrasser pour ne plus être troublé. L’attention flottante qui pour ainsi dire tapisse la séance et crée un espace de liberté et de confiance, où l’on se retrouve à chaque séance, est en cela des plus précieuses.
D’une certaine manière, nous agissons sur l’analyse, en mettant en scène l'interprétation sur plusieurs séances, dans la perspective de mettre un terme à une répétition mortifère. Dans l’exemple cité, il s’agissait d’entendre et de comprendre "le désir d'arrêter", de le laisser s’exprimer par le rêve, les retards et les actes manqués sans surtout s’y opposer. Une opposition directe à ce symptôme ou la volonté de « dénoncer une erreur » risquait de le cristalliser. Le symptôme est bien souvent une répétition supplémentaire de ce qui a été vécu précédemment, la plupart du temps, avec ou par ses parents. Aussi longtemps qu'il n'a été entendu, il se répète... Comme les comédiens répètent une pièce de théâtre jusqu'au jour où ils sont prêts à la jouer à la perfection pour le plaisir de tous. Mais contrairement aux comédiens, le symptôme qui n’a pas été entendu s’obstine, brouille les pistes et devient de plus en plus obscur, et finalement douloureux. Il s’agit donc non pas de (se) donner les moyens de bien le jouer mais de (se) donner ceux de ne plus avoir à le jouer.
Porter attention (également) flottante à l’expression des symptômes favorise la découverte des déterminations inconscientes qui y préside. Et de leur déchiffrage, découle sa résolution.
Il ne servait plus à rien à Marie de (se) buter sur le désir d’arrêter, et de ne pas avancer.