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Psychanalyse et Yoga

Psychanalyse et Yoga 

Un pont entre deux univers

de

Benedetta Pozzi

 

Résumé: Cet article souhaite contribuer à la création de ponts entre deux univers, celui de la psychanalyse et celui du yoga.

Notre réflexion se penche sur cette discipline orientale, comme Jung l’avait fait en  1932, pour en comprendre d’abord le cadre culturel, les processus sous-jacents et ensuite le potentiel transformatif. Le yoga permet de développer une perception fine des états internes, psychiques et somatiques, ainsi qu’une plus grande capacité de concentration et de présence à soi.

Un exemple de l’utilisation thérapeutique du yoga est présenté et discuté (Van Der Kolk, 2015). L’étude montre comment grâce à ce travail de prise de conscience des états internes, les pratiquants peuvent arriver à sentir davantage leurs émotions et à mieux les réguler, en étant ainsi plus accessibles à la psychothérapie.

 

 

 

Un pont entre deux univers ...

 

Psychothérapeute, je souhaite ici proposer une réflexion autour d’un travail psychocorporel, celui du yoga, discipline issue d’une tradition millénaire, où la conscience et la maitrise de soi convergent pour une profonde refondation intérieure.

 

Je me positionne ici entre deux horizons de pensée, entre deux paradigmes irréductibles, celui propre à la psychanalyse et celui qui découle de la tradition indienne, en particulier le corpus d’écrits nommé Vedanta.
Par Vedanta j’entends ici la « doctrine de la non dualité », telle qu’on peut l’établir à partir de l’enseignement des Védas, les textes sacrés indiens.
Le Vedanta est une des expressions les plus complexes de la philosophie indienne : ce corpus développe une réflexion sur tous les aspects de l’existence humaine, pour inviter à une introspection très profonde. Accompagnant le.a pratiquant.e vers la connaissance de soi, il examine l’éternelle question « Qui suis-je ?». 
Outil fondamental de ce parcours : le yoga. 
Le yoga (« unité » en sanskrit) dans le sens le plus traditionnel du terme, constitue la science Védique de la réalisation de soi. 
Il s’agit d’une science profondément holistique, basée sur le concept de totalité somatique et psycho-spirituelle. Le yoga prépare le corps, le prana1 et le mental à devenir des moyens de recherche intérieure.
Cette théorisation a abouti à une conception du fonctionnement mental bien définie et structurée. 
Toutefois, alors que la psychologie occidentale s’intéresse en grande partie aux contenus de la pensée, dans la conception du mental propre au Vedanta, ce qui intéresse est surtout la conscience des contenus : les pensées sont observées et considérées pour leur qualité et pour la fréquence avec laquelle elles se présentent. 
Elles ne sont que des vagues (vrittis) qui viennent perturber l’équilibre d’un Soi profond qui est imperturbable.

 Ce qu’en Occident nous appelons « yoga » semble à nos yeux uniquement une pratique physique comprenant des postures (asanas), de la relaxation et des exercices de respiration (pranayama). Mais cela n’est qu’une petite partie d’un ensemble philosophique et scientifique bien plus articulé et complexe, d’une vision complète de l’être humain. 
Dans ce cadre, le yoga vise à modifier l’activité mentale, à calmer ces vagues qui secouent la surface de notre monde interne. La pratique permet d’en réduire l’intensité d’abord, et ensuite de les purifier, pour permettre de voir au-delà de cette agitation. 
Elle vise à les transcender.

 La pratique du yoga commence toujours par des postures physiques, les asanas2. Ces postures renforcent et assouplissent le corps tout en éveillant la conscience corporelle, elles élargissent la perception des états internes.  Cela permet une fine intégration du schéma corporel.
L’asana, dans sa stabilité et dans sa répétition régulière encouragée par la pratique, devient un véritable contenant psychique, un cadre précieux qui permet d’observer et d’accueillir les mouvements internes.
Ce cadre donne un ancrage stable permettant d’observer d’abord les sensations, de les ressentir pleinement, pour ensuite observer également les émotions qui se dégagent, qui se libèrent au fur et à mesure que la pratique s’approfondit. 
L’introspection psychique est ainsi précédée et favorisée par l’interoception.
Le.a pratiquant.e développe ainsi des capacités plus intenses d’observation et de concentration. Ceci car la qualité de sa présence à elle.lui-même est modifiée. 
Les vagues des pensées (vrittis) commencent à changer, on peut les observer, on peut s’en détacher, elles nous traversent mais elles ont moins de prise sur nous. Un Soi plus profond se réveille, animé par le souffle paisible de la respiration consciente.

 Le yoga, tout comme la méditation, favorise à mon avis, et dans mon expérience, un élargissement du champ de conscience3. Ce travail somato-psychique peut avoir des effets transformatifs profonds.
Ce travail d’élargissement des capacités de la conscience rejoint le travail de W.R. Bion, psychanalyste anglais né en Inde. En effet, selon lui, "la psychanalyse est une sonde qui élargit sans cesse le champ qu’elle explore”…  le travail d’exploration, propre à la psychanalyse me fait penser au chemin yogique : l’analysant.e suit les associations libres, guidée par le transfert, comme le.a pratiquant.e, guidé.e par son souffle, suit les mouvements infrapsychiques qui s’ouvrent au de-là des pensées.
La tension vers la transformation et l’ouverture est la même.
Toutefois, le processus d’élargissement de la conscience n’est pas le même : pour la psychanalyse, il puise dans l’inconscient, dans un travail d’appropriation et d’élaboration narrative de l’histoire du sujet ; dans la pratique du yoga le travail repose sur l’observation, la répétition des mantras, la concentration. 
Une ouverture étonnante se réalise alors vers le Soi profond4 vers une ressource silencieuse qui réside au delà du mouvement des pensées et de l’ego. 
Cet espace permet de voir les difficultés de la vie autrement, d’un autre point de vue, au lieu de les analyser.
Un monde interne insoupçonné, qui transcende toute exploration analytique car il est sans mots et sans pensées : un état pur de l’être. 
La philosophie et la psychiatrie existentielle occidentales ont développé les concepts d’être-au-monde et d’être-à-soi pour décrire les dimensions de la conscience qui sont ici travaillées.

 Nous portons un nouveau regard sur nous mêmes à partir de cette conscience des états corporels et mentaux, de ce retour régulier au vécu corporel provoqué par la pratique. Emerge alors un « Soi qui observe ». 
Cet observateur paisible et vigilant nous amène à prendre de la distance par rapport aux fluctuations émotionnelles et mentales. Cette nouvelle fonction de la conscience a un ancrage corporel très fort. C’est pourquoi je pense qu’elle permettrait de déjouer nos tentatives de rationalisation et d’annulation des affects.
Dans cette intime sensation d’unité que la pratique du yoga amène, la différence entre les dimensions psychiques et corporelles semble s’estomper. 
Pendant la pratique, nous pouvons percevoir les effets du travail physique sur nos pensées, sur nos émotions.
Nous nous apercevons que nous pouvons changer la qualité des états mentaux en travaillant sur la respiration et le diaphragme, jusqu’à sentir que le corps est pensée et que la pensée est corps.
Le souffle, par exemple, se trouve au centre des émotions. La peur, l’anxiété peuvent en modifier le rythme. Nous pouvons donc y travailler, d’abord en l’accueillant, et ensuite en le modulant, l’allongeant. 
Ce processus volontaire va amener la détente dans un premier temps, pour ensuite modifier plus en profondeur nos habitudes psychocorporelles.

Ce profond enracinement ouvre l’accès à des sensations physiques et à des contenus émotionnels qui pouvaient avoir été exclus auparavant du champ de la conscience, sous l’effet soit de l’amnésie infantile soit de l’amnésie traumatique.
D’un point de vue clinique, je parle ici de vécus qui appartiennent au registre du non verbal, voire de ce que provoque la dissociation.
On voit là tout l’intérêt d’utiliser le yoga pour traiter les syndromes post-traumatiques, comme travail complémentaire ou préparatoire à la psychothérapie.
Entre autres études, citons celle de B. Van Der Kolk (2015). Le yoga a démontré ses effets thérapeutiques avec des patient.e.s souffrant d’un état de stress post-traumatique (des femmes victimes de violence sexuelle et des vétérans de guerre). Par son action sur la régulation des affects, le yoga pourrait avoir des effets notables sur les formes complexes de ces états de stress (DESNOS)5 
Il s’agit de patient.e.s dont le corps était devenu insensible, anesthésié par les massives défenses psychiques mises en oeuvre6. 
La rage, la peur, l’impuissance avaient été stockées dans le corps, créant des tensions musculaires, des douleurs sourdes, chroniques, sans qu’une forme de mentalisation et d’élaboration soit possible.
Les cliniciens ont constaté à quel point le yoga pouvait devenir une ressource précieuse: apprendre à habiter ce corps auparavant désinvesti et hanté, s’y sentir en sécurité, tolérer progressivement les sensations physiques, réduire les effets de la dissociation psychique. 
Le travail de prise conscience et d’observation ainsi mené, a permis aux patient.e.s de prendre contact avec l’histoire que leur corps recelait,  l’histoire du sujet même. Il leur a permis de s’autoriser à sentir, de désenclaver les émotions, en améliorant énormément la régulation de celles-ci.
Les patient.e.s étaient, après ce travail, beaucoup plus accessibles à la psychothérapie : la parole a pu enfin naitre et prendre tout son sens.

 J’ai pu constater personnellement à quel point une pratique régulière du yoga et de la méditation peuvent contribuer à une évolution psychique dans le sens d’une transformation de nos schémas psychiques et d’un développement de notre potentiel.
Je parle d’un assouplissement de la personnalité et d’une plus grande liberté intérieure.
L’expérience d’unité et le contact avec sa propre vérité interne façonnent une nouvelle manière d’être au monde.
Cette ouverture intérieure que la pratique crée, permet d’accéder davantage à des qualités humaines qui sont peu valorisées dans la psychologie occidentale : l’intuition, l’empathie, la gratitude, une confiance de base dans la vie, la bienveillance, le sens du don.
Le contact avec un noyau de calme intérieur, que je pourrais définir comme spirituel, peut avoir un effet thérapeutique et transformatif. 
L’Ego et ses exigences anxieuses semblent se rapetisser : nous avons alors moins besoin de nous accrocher à ce que nous voulons ou nous croyons être, pour laisser jaillir une forme plus profonde d’abandon et d’accueil face à la vérité de ce que nous sommes.

 

 

Benedetta Pozzi

Psychothérapeute Psyhcologue clinicienne
benepozzi@gmail.com 

 

 

Bibliographie

Bion, Aux sources de l’expérience, PUF, 1979Binswanger, L., Introduction à l’analyse existentielle, coll. Arguments, Minuit, 1971.

Cope, S., The wisdom of yoga, Random House, 2007

Frawley, D., Yoga and Ayurveda, Lotus Press, 1999

Jung, C.G., Psychologie du Yoga de la Kundalini, Albin Michel, 2005

Herman, J., Trauma and Recovery, Basic Books, 1992

Patanjali, Yoga Sutras, Centre Sivananda de Yoga Vedanta, 2009

Swami Vishnudevananda, Le grand livre du yoga, Le courrier du livre, 2011

Van Der Kolk, B, The Body keeps the score, Penguin Books, 2015

Vigne, J., Méditation et psychologie, Albin Michel, 1996

06/02/2020
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